Parmi les clefs pour passer de l’hébreu à l’arabe, un G hébreu
(gamal, le chameau) devient, selon les pays un DJ ou un J (jamal). Un
CH/SH de l’hébreu (shin, la dent) est le plus souvent un S (sin). Le mot
qui veut dire habiter en hébreu, dans le sens très concret d’avoir un
toit, ou une tente, au-dessus de la tête est GAR (infinitif lagur).
Le rapprochement avec le mot JAR en arabe, le voisin, parle de
lui-même. Par contre, l’arabe utilise plutôt le verbe SAKANA et c’est la
même racine dans le mot hébreu shåkhen, le voisin. Le mot « shekhina »
qui exprime la manière, mystérieuse, dont Dieu demeurait au milieu des
Hébreux au-dessus de la tente de la rencontre puis dans le Temple a
cette même racine signifiant « habiter, demeurer ».
Mais le mot qu’on voit dans le psaume 133 est SHBT. En
hébreu, un infinitif commence toujours par L- (il n’y a pas d’infinitif
en arabe mais une forme, le plus souvent imprévisible pour les verbes
de base, qu’on appelle « masdar »). Donc, le traduire par un infinitif « demeurer », « être », c’est grammaticalement inattendu. Si
l’on avait « Lashevet » (LSHBT), et je pense que c’est l’hypothèse
privilégiée par les traducteurs, ce serait le verbe « s’asseoir ». Ce
n’est pas farfelu en ce sens que ce verbe peut vouloir dire « rester
dans la compagnie de quelqu’un », puisque, pour passer un moment ensemble, on s’assoit. Mais c’est quand même un peu
bizarre dans le cas d’un chant des montées, c’est à dire un psaume que
les Hébreux chantaient en montant les degrés qui conduisaient à
Jérusalem. Ils ne le faisaient pas assis. Donc, cette interprétation qui est bien la traduction traditionnelle, pose quand même question.
Ensuite, si c’était un verbe conjugué inaccompli
ayant donc « les frères » pour sujet, un mot masculin, le verbe
commencerait par Ye-. Il y a une remarquable concordance sur ce point
non seulement avec l’arabe (Ya-) mais même avec le berbère (Ye- en
kabyle). J’ouvre une parenthèse ici. Le tétragramme YHWH est toujours
traduit par « Je suis ». Pourtant, cette forme qui commence par Y- ne
peut être qu’un « Il ». Howe en hébreu est bien le participe présent
voulant dire « étant ». Comme nous le savons, le nom de Jésus en hébreu est YeSHuΓa, justement traduit « IL sauve ». YHWH et YSHWΓ commencent exactement par la même lettre. Certaines traductions traditionnelles de la Bible sont donc déroutantes.
J’en reviens à SHBT. Le mot est vocalisé « é », shevet. Mais, la
vocalisation est une interprétation rabbinique tardive, fixée par les
Masoret. Les plus vieux manuscrits ne sont pas vocalisés. La racine SHB
signifie « se retourner », « revenir ». On la trouve notamment dans
« teshuva », la conversion. Si c’était ce verbe-là, autre hypothèse, on
aurait ou bien YSHB dans le texte, « ils reviennent », ou bien « LSHuv »
« retourner ».
Mais on a bien « SHBT ». Comme c’est avec ces lettres qu’on écrit le mot « shabbat », je
me demande s’il n’y a pas volontairement une ambiguïté avec un mot qui
peut évoquer à la fois le fait d’être assis ensemble et le shabbat. Donc, littéralement, on peut lire « que bon, qu’agréable, être assis des frères aussi ensemble » ou « que bon, qu’agréable, shabbat des frères aussi ensemble ».
Quant à la dernière
phrase, « SHaM », qui est bien un adverbe de lieu, ne peut se rapporter
que « aux montagnes de Tsion ». Le texte ne me semble pas ambigu. On ne
peut que lire que Dieu a ordonné que la bénédiction (HaBaRaKHa) soit là,
la vie jusque dans l’éternité.
Autre chose. Cela faisait des mois que me revenait un film que j’ai
vu en dvd au mois de janvier : « Muriel », et, ce matin, je me suis
levé avec la conviction de la recevoir comme une parabole. J’avais dû le
trouver à la librairie de Morlaix. Comme Delphine Seyrig y apparaît
âgée, j’avais cru à une reconstitution des années 60 qu’elle aurait
tourné vers la fin de sa vie, à nos âges (elle est morte d’un cancer à
58 ans). Mais non, c’est un film qu’elle a tourné juste après Marienbad,
donc directement au début des années 60.
L’action a lieu à Boulogne sur Mer. J’associe spontanément à “Adieu
mes quinze ans”, que j’avais vu en feuilletons adolescent et que
j’avais beaucoup aimé, une histoire délicate et sentimentale comme
j’aime. J’ai d’ailleurs acheté les livres « Adieu mes quinze ans » et
« Les enfants de la brume ».
« Muriel » commence un soir. Un homme d’âge mûr arrive par le train
avec une jeune femme. J’ai cru d’abord que c’était sa fille. Et Delphine
Seyrig vient le chercher avec un jeune homme qui semble être son fils.
Ils se rendent à l’appartement de Delphine plutôt cossu dans un quartier
flambant neuf, mais froid, du centre reconstruit de la ville. En fait,
tout est faux. Delphine est antiquaire et les meubles de son appartement
sont tous à vendre. Le jeune homme est le fils du mari dont elle est
veuve. L’homme mûr est venu avec une jeune maîtresse mais il est marié
et sa femme ne sait pas qu’il est parti accompagné. De fil en aiguille,
on se rend compte que Delphine est au bord de la faillite. Le peu
d’argent qui entre, elle le perd en jouant au casino. Son appartement
est hypothéqué. Elle ne subsiste qu’en empruntant à des amis. On devine
bien qu’elle ne pourra jamais rembourser. Et l’homme mûr espère obtenir
de l’argent d’elle. De temps en temps, les personnages passent devant un
groupe d’immeubles flambant neufs dans lesquels personne n’habite car
l’architecte les a construits sur un terrain instable et ils vont
s’écrouler d’eux-mêmes d’un moment à l’autre. Tout n’est qu’apparence.
Tous les personnages mentent. Et on voit que la corde qui les étouffe
tous, c’est l’argent.
C’est une parabole sur nous, l’Europe aujourd’hui. Je le reçois comme
cela. Et, avec « Adieu mes quinze ans » en toile de fond, c’est aussi
comment la France est passé de rapports familiaux, bienveillants,
chaleureux et frugaux à un gigantesque mensonge à crédit dans un décor
de formica au bord d’un gouffre béant où l’argent tient le rôle du
joueur de flûte de Hameln.
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