Les
Göïm – Ce que cela n’est pas (1ère partie)
A) Remarques liminaires
Selon la formule consacrée, la vérité, c’est
la vérité, rien que la vérité et toute la vérité. De la vérité
additionnée d’autre chose, c’est de la vérité frelatée, donc
du mensonge. De la vérité amputée, c’est de la vérité
tronquée, donc également du mensonge.
Que Jésus soit le Sauveur personnel de chacun
d’entre nous et que nous soyons personnellement appelés à
accepter Son salut en nous reconnaissant pêcheur et en choisissant
de marcher désormais à Sa lumière, c’est vrai. Mais ce n’est
pas toute la vérité.
Nous sommes personnellement sauvés pour
constituer des sortes de briques insérées dans des familles de
sauvés, des cités de sauvés, des régions de sauvés et des pays
de sauvés, en vue d’un monde de sauvés. Le salut, la rédemption
par Jésus a aussi une dimension collective. Certains passages de la
Bible, y compris du Nouveau Testament, ne sont plus intelligibles si
l’on n’a du salut qu’une compréhension strictement
individuelle et personnelle.
« Paul et Silas
répondirent: Crois au Seigneur Jésus, et tu seras sauvé, toi et ta
famille » (Actes 16:31). Avez-vous remarqué que Paul et Silas
ne dirent pas « Croyez au Seigneur Jésus toi et toute ta
famille et vous serez sauvés » ?
La conversion du père de famille ouvrirait la porte du salut à tous
ceux qui lui étaient liés au plus près.
« Alors il se
mit à faire des reproches aux villes dans lesquelles avaient eu lieu
la plupart de ses miracles, parce qu'elles ne s'étaient pas
repenties. Malheur à toi, Chorazin! malheur à toi, Bethsaïda! car,
si les miracles qui ont été faits au milieu de vous avaient été
faits dans Tyr et dans Sidon, il y a longtemps qu'elles se seraient
repenties, en prenant le sac et la cendre. C'est
pourquoi je vous le dis: au jour du jugement, Tyr et Sidon seront
traitées moins rigoureusement que vous. Et toi, Capernaüm, seras-tu
élevée jusqu'au ciel? Non. Tu seras abaissée jusqu'au séjour des
morts; car, si les miracles qui ont été faits au milieu de toi
avaient été faits dans Sodome, elle subsisterait encore
aujourd'hui » (Matthieu 11:20-23). C’est bien Jésus qui
parle. Est-ce que vous imaginez que tous les gens qui vivaient en
Prusse orientale, en Silésie et en Poméranie en 1944/1945 étaient
des criminels nazis, que personne n’y avait la crainte de Dieu ?
Et pourtant le jugement s’est abattu d’une façon terrible sur
cette partie de l’Allemagne, y compris sur des petits enfants
évidemment innocents.
Les Chrétiens qui croient que les lois spirituelles du Nouveau
Testament ne sont plus celles de l’Ancien Testament se fourvoient.
Nous n’existons pas seulement comme personne mais aussi comme
famille, comme cité, comme région, comme pays et le jugement de
Dieu peut frapper à chacun de ces niveaux car chacun de ces niveaux
doit être sauvé et sanctifié.
Quelle folie que celle de tant de Chrétiens qui se croient à l’abri
dans des pays « laïcs », c’est à dire en rébellion
contre l’autorité de Dieu, alors que Dieu les appelle au contraire
à allumer leur pays de la flamme du salut en Jésus.
Pour approfondir le sujet, je vais commencer par poser la question
suivante : la France, qu’est ce que c’est?
Incontestablement, c’est un Etat. « Etat », c’est une
notion juridique. Un Etat rassemble sur un territoire une population
qui est soumise à un même pouvoir. Ainsi constitué et reconnu tel
par les autres Etats, un Etat est un sujet de droit international
public. Il est, en principe, juridiquement souverain. C’est à dire
que sa population n’est pas assujettie contre son gré au pouvoir
d’un autre Etat. La souveraineté est à un Etat ce que la liberté
est à un individu.
La France est aussi un pays. Le terme « pays » est
cependant beaucoup moins précis que le terme « Etat ».
Le mot pays dérive du mot latin « pagus » qui avait,
sous l’Empire romain, désigné un territoire rural constituant une
unité administrative, continuant souvent d’anciennes divisions
claniques ou tribales. Il s’opposait alors à la cité qui était
le territoire administré directement à partir d’une ville. On
observera que le mot « païen » a la même racine, sans
doute parce que le judaïsme, puis le christianisme, essaimèrent
d’abord dans des cités et que, par contraste, les régions rurales
conservèrent bien plus longtemps les cultes aux faux dieux.
Il en résulte que le mot « pays » peut désigner aussi
bien la même unité territoriale qu’un Etat tout autant que des
fractions de celui-ci, le Pays Basque, le Pays d’Auge. Quand
quelqu’un dit qu’il retourne au pays, il parle plus probablement
de son village d’origine.
Un troisième mot est encore plus imprécis, « nation ».
De nos jours, le mot a pris, en France, un contenu
philosophico-politique. Il y a là une bonne dose du contrat social à
la Jean-Jacques Rousseau, l’idée que des individus décident de
faire société ensemble et que toutes les structures procèdent de
cette volonté et d’elle seulement. Il y aussi là-dedans pas mal
de philosophie dite « des lumières », c’est à dire
maçonnique.
Les choses se présentent de façon assez similaire dans la plupart
des pays voisins.
L’Italie est juridiquement un « Stato ». Elle est aussi
un « paese », avec ce que le mot a d’aussi vague en
italien qu’en français. Quant au mot « nazione », il
est lui aussi réservé à la sphère politique et, comme les
Français, il n’est pas certain que les Italiens aient tous une
idée parfaitement claire de ce que la notion recouvre.
L’Espagne est un « Estado », notion juridique. Le mot
« país » est plus général, plus affectif aussi. Le mot
« nación » est plus polémique dans un pays où
s’affirment fortement des identités infranationales. Il est clair
que les Basques, les Catalans, les Galiciens n’ont pas
nécessairement l’impression de former une nation avec le reste de
la population espagnole.
Pour la même raison, le terme « natie » n’a guère
cours en Belgique. Tous s’accordent sur le fait que la Belgique
soit un « staat », même si certains en souhaitent
ardemment la disparition. Il n’est déjà plus si sûr qu’il soit
reconnu comme un « land », mais plutôt comme un agrégat
de « landen ».
Vu sa petite taille, le Luxembourg n’est pas en proie à ces
questionnements. Il est juridiquement un « Stat » et
aussi affectivement un « Land », « d’Lëtzebuerger
Land ». On utilise en revanche fort peu le mot « Natioun »
au Luxembourg.
L’histoire a fait que l’Allemagne répugne à se reconnaître
comme autre chose qu’un « Staat », la notion clairement
juridique. Dans un pays très décentralisé, le mot « Land »
évoque d’abord et avant tout les entités infranationales qui ont,
pour plusieurs d’entre elles, la Bavière, la Saxe, les villes
hanséatiques, etc …. une identité historique très forte. La
notion de « Nation » a été tellement manipulée par le
totalitarisme qu’elle ne fait guère recette Outre-Rhin.
Si l’on se transporte aux Etats-Unis, on découvre une situation
extrêmement intéressante. Le mot « state » y désigne
pour tout les monde les 50 entités fédérées. Par conséquent, les
Américains se réfèrent la plupart du temps au mot « nation »
quand ils parlent de l’État fédéral que constitue les
Etats-Unis. Comme ce pays est, en réalité, l’épicentre du
Christianisme évangélique, il est devenu extrêmement courant pour
les Chrétiens évangéliques d’appeler les « Etats »,
« nations » et de faire coïncider, par ce biais, les
notions d ‘ « Etat », de « nation »
et de « goïm ». Et nous allons donc voir ce qu’il faut
en penser. Comme en français, les Américains ont aussi des mots
plus vagues « land », mot germanique que l’on a déjà
rencontré en néerlandais, en luxembourgeois et en allemand, ainsi
que « country », le parent anglo-normand du mot français
« contrée ».
Tout aussi intéressante est la situation du Royaume Uni de Grande
Bretagne et d’Irlande du nord. Elle est même la plus intéressante
pour la poursuite de la réflexion. Le Royaume-Uni est un Etat, au
sens juridique du terme. Ce que l’on appelle « nations »,
Outre-Manche, c’est l’Angleterre, l’Ecosse, le Pays de Galles
et l’Irlande. Le cas de l’Irlande est paradigmatique pour
illustrer que les notions d’« Etat » et de « nation »
ne coïncident pas, contrairement aux discours dominant chez les
Chrétiens évangéliques, puisque l’on a ici clairement une nation
répartie entre deux Etats.
Mais il y a encore une autre notion juridique qui s’applique
Outre-Manche, celle de « Crown », la Couronne. Cette
notion ne recouvre pas celle d’État. Il y a Outre-Manche une
Couronne d’Angleterre et c’est à elle que sont rattachées
notamment l’Ile de Man, l’île de Jersey, l’île de Guernesey
et d’autres îles Anglo-Normandes qui ne font pas partie du
Royaume-Uni.
Les légitimités procèdent du Droit et de lui seul. Après avoir
longuement souffert de pillages de Vikings, la France (je parle de la
France occidentale, j’y reviendrai), en la personne de son roi
Charles III, jugea habile de conférer à des Danois un Duché de
grande taille détaché de la Neustrie, tout en restant vassal du Roi
de France. Ce fut donc par le traité de Saint-Clair-sur-Epte de 911
que fut constituée la base juridique du Duché de Normandie. Un
siècle et demi plus tard, un Duc de Normandie mit fin au pouvoir
d’autres Danois (Danelaw) en les vainquant en Angleterre à la
bataille d’Hastings, en 1066. Ce faisant, le Duc Guillaume devint
Roi d’Angleterre. Juridiquement, il est donc devenu à la fois Roi,
et Roi d’un Royaume complètement indépendant, je veux dire sans
lien de vassalité avec un Empereur, tout en restant en Normandie
Duc, et vassal du Roi de France.
Cette situation perdura longtemps, jusqu’à l’époque du Roi Jean
Sans Terre. A ce moment-là, le Roi de France Philippe-Auguste
confisqua le Duché de Normandie à son vassal au motif de félonie.
Toutefois, la confiscation ne s’étendit pas aux îles
anglo-normandes, raison pour laquelle elles restèrent sous le
sceptre des Rois d’Angleterre, mais pas en cette qualité, du fait
qu’ils avaient été les Ducs de Normandie et que cette portion du
Duché leur était restée.
Eh bien, il en allait rigoureusement de même en France jusqu’à la
révolution française. Il y avait donc aussi, de ce côté de la
Manche une « Couronne de France » et il s’agissait
d’une notion de droit public qui ne se confondait pas avec l’État
« France ».
B) Les trois Couronnes de France
Mais d’abord, à quand remonte cette Couronne ?
Elle fut créée à la suite du partage en 843, par le traité de
Verdun, de l’Empire que l’Empereur Louis le Pieux avait hérité
de son père Charles le Grand, plus connu comme Charlemagne. Par le
traité de Verdun étaient créés trois Royaumes, donc trois
Couronnes, désignées en latin, la seule langue alors officielle,
« Francia occidentalis », « Francia mediana »
et « Francia orientalis ». Ici, il est nécessaire de
faire justice d’une falsification de l’histoire. Dans tous les
actes médiévaux rédigés en latin, « France » se dit
« Francia ». Par conséquent, il n’a JAMAIS existé,
contrairement à ce que vous verrez dans force livres et manuels
d’histoire, quoi que ce soit qui se fût appelé « Francie ».
C’est une malhonnête réécriture de l’histoire.
La vérité est que, au traité de Verdun, fut créé un Royaume de
France occidentale dont la frontière fut fixée sur ou en deçà des
cours de l’Escaut, de la Meuse, de la Saône et du Rhône. Je
conçois qu’il soit fort déstabilisant, pour une certaine vision
« parisocentrique » de l’histoire du continent, que les
territoires occupés actuellement par l’Allemagne et l’Autriche
constituaient le Royaume de France orientale. Mais c’est ainsi.
Quant au Royaume de France centrale, parce qu’il était conféré à
celui des fils de Louis qui conservait le pouvoir impérial, il fut
appelé aussi Royaume de Lothaire (encore Lotharingie, d’où
Lorraine), c’est à dire le royaume qui lui appartenait en propre.
Il faut donc bien se mettre en tête, ce que l’histoire officielle
répugne à faire, qu’il restait juridiquement Empereur aussi
au-dessus de la France occidentale et de la France orientale, et que
les Rois de celles-ci étaient ses vassaux. La question de
l’effectivité de leur allégeance est d’un tout autre ordre. Le
Droit ne varie pas en fonction de telles considérations.
Si l’Empire de Charlemagne fut divisé en trois parties qui furent
appelées respectivement France occidentale, France médiane et
France orientale, c’est bien parce que l’on considérait alors
que la France, c’était le territoire que recouvraient les trois
Royaumes. La vérité commande donc d’appeler Charlemagne et Louis
le Pieux « Empereurs de France ».
Au cours des décennies qui suivirent, l’histoire fut tourmentée.
Ce qui incarnait la subsistance de l'Empire, c'était la fratrie des
petits-fils de Charlemagne. Or, c'était incontestablement un socle
insuffisant pour lui assurer la pérennité d'un cadre étatique.
Avec le temps, d'autres générations accéderaient aux différents
trônes avec de moins en moins de sensibilité pour la commune
origine familiale.
Et en effet, c'est seulement douze ans plus tard, à Prüm, qu'un
Lothaire malade partagea à son tour son royaume entre ses fils,
quelques jours avant sa mort. Louis, l'aîné, reçut la dignité
impériale et le Royaume d'Italie. Au vu du caractère tellement
personnel et relationnel de ce qui subsistait de l'Empire à partir
de Verdun, on imagine à quel point l'ascendant du neveu allait
devenir théorique sur ses deux oncles.
Le plus jeune fils de Lothaire, Charles, reçut la partie du royaume
baignée par les cours de la Saône et du Rhône, soit une grande
partie du Royaume des Burgondes qui avait existé avant l'Empire.
C'est au cadet, Lothaire, que revint toute la partie septentrionale
et c'est donc dorénavant seulement celle-ci que l'on appellera
Lotharingie.
Le royaume de Charles ne survécut pas à la mort de celui-ci, sans
postérité, en 863. Il fut dès lors partagé entre ses deux frères.
Lorsque, à son tour, Lothaire II mourut en 869, toute la succession
aurait dû obvenir à Louis, Empereur et Roi d'Italie. Pourtant, dans
un premier temps, c'est le Roi de France occidentale Charles le
chauve qui s'empara de la Lotharingie où il se fit couronner roi à
Metz le 9 septembre 869.
La réaction du Roi de France orientale fut rapide et obligea Charles
à composer.
Les deux frères signèrent ainsi en août 870 un traité de partage
à Mersen (Meerssen).
La frontière du Royaume de France occidentale fut reportée sur la
Meuse, l'Ourthe, la Moselle, la Saône et le Rhône. Cependant, par
endroit, elle s'étendit au-delà avec une partie de la Hollande, du
Comté de Varais (Besançon) ainsi que le Viennois. Le reste, et il
représentait un territoire très considérable, agrandit la France
orientale.
L'une des conséquences de ce traité fut la disparition du Royaume
de Lotharingie.
Le fait qu'un tel partage ait pu s'effectuer sans que Louis, Empereur
et Roi d'Italie, soit parvenu à l'empêcher, montre à quel point la
dignité impériale avait été abaissée après la mort de Lothaire
Ier.
En 875 mourut le Roi d'Italie, dernier fils de Lothaire Ier. Charles
le chauve se précipita sur la couronne impériale et se fit
couronner empereur à Rome par le pape le 25 décembre 875.
Le Roi de France orientale mourut à son tour le 28 août 876.
Charles tenta alors de reconquérir la partie de la Lotharingie qui
lui avait échappé à Mersen. Toutefois, les fils de Louis, ses
neveux Carloman, Louis et Charles, lui résistèrent avec succès.
La France orientale fut partagée à son tour. Carloman reçut la
Bavière ; Louis le jeune le nord du Royaume, Saxe, Franconie et
l'essentiel de la Lotharingie orientale ; et Charles le gros
l'Alémanie (Souabe, Suisse actuelle et aussi Alsace).
Le 6 octobre 877, Charles le chauve mourut.
Son successeur, Louis le bègue, ne régna que deux ans. A sa mort en
879, la France occidentale fut partagée en deux entre ses fils. A
l'ainé, Louis III, revint la Neustrie (c'est à dire le bassin
parisien, la basse vallée de la Loire et l'actuelle Normandie)
tandis que Carloman reçut tout le sud, essentiellement Bourgogne,
Auvergne, Aquitaine et Gascogne.
C'est donc une France occidentale divisée et affaiblie qui fut
confrontée aux prétentions d'un des cousins de Louis III et
Carloman, le fils du Roi de France orientale Louis le jeune. Celui-ci
occupa une grande partie de la Lotharingie occidentale dès 879.
En 880, par le traité de Ribemont, la France occidentale céda toute
la Lotharingie occidentale à Louis le jeune. C'est à dire que la
France occidentale retrouva sa frontière orientale du traité de
Verdun. Désormais, pendant quatre siècles, le Royaume de France
occidentale ne déborderait plus au-delà de cette frontière.
On ne comprend pas ce retournement si l'on n'a pas à l'esprit que,
au même moment, Louis III était aux prises avec des attaques
danoises (Vikings).
Devenu Roi d'Italie en 879, Charles le gros put encore augmenter son
pouvoir à la mort de son frère Carloman. Le 12 février 881, il fut
couronné empereur par le pape. Sur ces entrefaites, Louis le jeune
mourut à son tour en 882. Ayant ainsi hérité de la part de ses
deux frères, Charles le gros recouvra le Royaume de son père.
En France occidentale, Louis III mourut le 5 août 882. Puis, ce fut
au tour de Carloman le 12 décembre 884. Le dernier fils de Charles
le chauve étant encore un enfant, la régence fut confiée à son
cousin Charles le gros. A ce moment-là, l'Empire de Charlemagne fut
de facto pratiquement reconstitué. Toutefois, Charles ne fut
pas sacré Roi de France occidentale. C'est donc en tant qu'Empereur
qu'il la gouverna, ce qui démontre aussi que, à la fin du IXème
siècle, la France occidentale faisait toujours partie d'un même
ensemble politique avec la France orientale.
Mais le pouvoir de Charles sera de courte durée. En novembre 887,
les nobles de France orientale le déposèrent au profit d'Arnulf de
Carinthie, fils illégitime de feu Carloman, Roi de Bavière.
En France occidentale, les nobles élurent Roi le Comte Eudes au
début 888. Deux dynasties distinctes scellèrent l'éloignement
progressif des deux entités issues de l'Empire de Charlemagne.
La France orientale conservera des souverains carolingiens jusqu'en
911. A partir de 919, la Couronne revint au Duc de Saxe, Henri
l'oiseleur. Son règne s'ouvrit par un démembrement de l'ancien
Royaume de Lotharingie. L'Alsace fut rattachée au Duché de Souabe
tandis qu'une grande partie des Pays-Bas actuels fut intégrée au
Duché de Saxe.
Le fils d'Henri l'oiseleur, Otton, lui succéda à sa mort le 2
juillet 936. Après avoir ajouté sur sa tête la Couronne d'Italie à
la Couronne de France orientale, il devint Empereur en 962 de
l'entité que l'on appellera par la suite Saint Empire
romain-germanique. Désormais, on ne parlera plus guère de France
orientale, de sorte que le royaume de France occidentale sera le seul
à conserver le nom de la tribu germanique fondatrice. Même si
Hugues Capet, qui fut élu Roi de France en 987, était petit-fils
d’Henri l'oiseleur par sa mère, il est clair que les deux Etats
oublieront désormais de plus en plus qu'ils étaient deux parties
d'un ancien tout.
Hugues Capet se proclama « Rex Francorum ». Il faut se
garder de traduire hâtivement « Roi des Francs ». En
effet, le latin est ici plus ambigu que le Français et il est plus
vraisemblable qu’il s’agissait de « Roi de Francs »
puisque, comme on l’a vu, même si l’Empire voisin ne s’appelait
plus en référence à la France centrale et à la France orientale,
le souvenir de ces Royaumes n’avait pas encore disparu des
mémoires.
C) Les Francs
Mais, qu’est-ce qu’étaient au juste les Francs ?
Contrairement à une vision simpliste, ils n’apparurent pas sur la
scène de l’histoire à la disparition de l’Empire romain
d’occident. Pour des raisons que l’on connaît mal, faute de
sources, qui ont parfois tenu à des épidémies mais qui ne
suffisent pas à expliquer le phénomène, la Gaule romaine a été
en proie à une dépopulation de ses campagnes qui a préoccupé les
autorités militaires romaines dès le milieu du IIème siècle.
Les Romains réagirent d’abord de manière militaire pour entraver
les incursions germaniques qui allèrent en se multipliant au IIIème
siècle. Puis, de plus en plus, les Romains tolérèrent puis
légitimèrent les installations de tribus germaniques notamment dans
les actuels Pays-Bas et en Rhénanie.
On sait ainsi que des Francs s’installèrent dans la vallée de la
Moselle dès la fin du IIIème siècle. Le fait est important du
point de vue linguistique car nous savons, par le témoignage sûr et
crédible de Jérôme, le traducteur de la Bible en latin, qui vécut
à Trèves à la fin du IVème siècle, que les Galates parlaient la
même langue que les Trévires, preuve indirecte que le gaulois était
encore parlé dans la région de Trèves au IVème siècle. Par
conséquent, c’est de lèvres encore celtophones que les Francs y
apprirent le latin qui devait, un temps, leur servir de langue de
communication interethnique.
On observe donc une stabilisation précoce d’une population
germanique, identifiée comme franque, à l’intérieur du nord de
la Gaule. A la fin du Vème siècle, sur les décombres de l’Empire
romain d’occident, se constitua, à partir de la Flandre actuelle,
un Royaume franc dont Childeric fut probablement le premier Roi. Son
successeur, son fils Hlodovic, ou Ludwig, ou Clovis, est
indubitablement le personnage qui changea la destinée de son peuple.
Tout d’abord, il vainquit Syagrius, un militaire gallo-romain qui
était devenu de facto le dirigeant du nord de la France. Vainqueur à
la bataille de Soissons, Clovis étendit son Royaume sur la Neustrie
qui couvrait, grosso modo, la Picardie, la Normandie, l’Ile
de France et Lutèce, la Champagne et le Val de Loire, donc beaucoup
d’excellentes terres arables. Il fit progressivement reconnaître
son autorité aux autres tribus franques que les seuls Saliens dont
il était issu.
Un grand tournant eut lieu à Zülpich (Tolbiac), bataille d’abord
incertaine contre une autre tribu germanique, celle des Alamans.
L’histoire moderne se plaît à discréditer le récit traditionnel
selon lequel Clovis se serait engagé à devenir Chrétien si le Dieu
de la Bible lui donnait la victoire. Comme il est indubitable que
Clovis se convertit effectivement au Christianisme, la réécriture
des faits historiques le présente comme une habileté, un calcul
pour s’assurer l’appui de l’Église. C’est tout juste si on
n’en fait pas un franc-maçon ! La vérité
est qu’un Germain de ces temps comprenait nécessairement le monde
comme placé sous la férule de dieux invisibles mais puissants dont
les destins des hommes dépendaient de la faveur.
Vu la suite des événements, il n’y a guère
de doute que, en prenant le baptême chrétien,
lui et toute sa noblesse militaire, Clovis conclut délibérément
une alliance avec le Dieu de la Bible. Certes, il ne s’agit pas de
l’alliance unique, éternelle, d’Abraham, d’Isaac et de Jacob,
mais il s’agit d’une alliance qui engagerait dorénavant les
Francs en tant que peuple.
La suite de l’histoire est faite d’accroissements d’un
territoire qui formait plutôt une bande allant de l’actuelle
France du nord à l’Allemagne du sud, ponctués aussi de partages
entre fils de Roi. C’est d’ailleurs sur cette bande qu’ont été
longtemps parlés les dialectes germaniques dits « franciques »,
qui se caractérisent par un impact limité de la mutation
consonantique propre au haut-allemand, avec notamment le flamand de
Belgique occidentale et du Westhoek de Dunkerque où cet impact n’a
pas eu lieu, le « Kölsch » de Cologne, le Luxembourgeois
où l’impact a été plus sensible, le francique mosellan parlé
notamment en Sarre allemande, à Sarreguemines et à Saint-Avold
jusqu’aux régions nord de la Bavière qu’on appelle en français
« Franconie » mais « Franken » en allemand.
On ne saurait donc être plus clair quant au fait qu’il s’agit
bien des Francs en tous ces lieux et que la France actuelle n’en a
jamais eu le monopole.
Quoi qu’il en soit, on observe ensuite tout au long de siècles
d’histoire une fidélité des pouvoirs francs
à l’alliance conclue en Clovis avec le Dieu d’Abraham, n’en
déplaise aux historiens maçonniques.
Ce processus culmine avec Charlemagne. Comme on l’a vu, sa France
couvre alors non seulement la France actuelle moins la Bretagne mais
aussi le Benelux, la Suisse, l’Autriche, l’Allemagne et le nord
de l’Italie actuels. Dieu a pris cette alliance au sérieux, n’en
doutons pas. Et c’est en Clovis que ces peuples qui ont été la
France de Charlemagne et de Louis le pieux sont, jusqu’aujourd’hui,
au bénéfice d’une alliance avec le Dieu d’Abraham, avec le
Christ. Si cette alliance n’a pas la même portée que celle
d’Abraham, elle fonctionne comme celle d’Abraham et s’est
renouvelée
de parents à enfants au cours des siècles.
La nécessité de la démarche de conversion personnelle, qui existe
d’ailleurs tout autant pour les descendants d’Abraham, ne se
substitue pas à cette alliance qui est d’un autre niveau.
D) Le Barrois mouvant
Mais revenons à
la Couronne de France occidentale. La frontière tracée au Traité
de Verdun fut respectée jusque sous Philippe le Bel. Avant lui, la
question de la vassalité ou au moins de la subordination du Royaume
de France (je ne préciserai plus « occidentale »
dorénavant puisque seul ce royaume-ci conservait cette dénomination
de « France ») à l’Empire romain-germanique, ne fut
jamais évoquée. Il semble que ce fut le conseiller juridique,
plutôt un expert en torsion du Droit en fonction des intérêts de
Philippe le bel, Nogaret, qui fut à l’origine de la proclamation
que le Roi de France est Empereur en son Royaume. C’était
juridiquement une ânerie puisque, comme nous l’avons vu, c’est
une couronne royale et non une couronne impériale qui fut créée à
la suite du traité de Verdun mais, d’un point de vue politique et
diplomatique, cela valait négation, certes purement unilatérale, de
la persistance d’une quelconque relation de subordination du
Royaume de France à l’Empire.
Cela
étant, les choses allèrent alors bien plus loin. Le faux monnayeur
sans scrupule, resté tristement célèbre notamment pour son
intervention brutale contre le Pape Boniface VIII à Rome,
l'installation du pape-marionnette Clément V à Avignon et la mise à
sac de l'Ordre des templiers, aura été aussi le premier à s'en
prendre à la frontière orientale multiséculaire.
Le Roi Philippe avait épousé Jeanne, héritière du riche Comté de
Champagne. Alarmé par l'inéluctable extension du domaine royal sur
sa frontière occidentale, le Comte Henri de Bar chercha un appui en
Angleterre en épousant en 1293 Aliénor, fille du Roi Edouard Ier.
De ce fait, le Comte s'attira une hostilité encore plus vive de la
part du Roi de France.
Fait
prisonnier par Philippe en 1301, le Comte Henri dut payer au prix
fort sa libération en reconnaissant, dans sa geôle à Bruges, le
Roi de France pour son suzerain au titre de la plupart des terres
comtales situées sur la rive gauche de la Meuse. Seules échapperont
à la rapacité de Philippe les Seigneuries de Clermont-en-Argonne et
de Vienne-le-Château que le Comte de Bar tenait en arrière-fiefs de
l'Evêque de Verdun. Or, ce dernier relevait directement de
l'Empereur lui-même, dont on reste médusé de l'absence de réaction
à la mesure de l'enjeu. Il faut dire que, en 1301, l’Empereur
Albrecht 1er
de Habsburg était aux prises avec l’opposition de quatre des sept
électeurs qui auraient pu le déposer. Il est donc vraisemblable que
l’Empereur ait fermé les yeux sur l’affaire en échange d’une
neutralité de la France dans ses propres vicissitudes intérieures.
Quoi
qu’il en soit, le coup de force de Philippe aboutissait de
facto
à faire reculer la frontière de l'Empire et à placer plus d'un
tiers du Barrois sous l’autorité du Roi de France. Que cela
changeât de
jure
la frontière est une autre affaire. Comme le Comte de Bar était
vassal de l’Empereur pour tout le Comté de Bar, l’interposition
du Roi de France faisait plutôt de celui-ci un vassal de l’Empereur
au titre du Barrois mouvant. C’est dire à quel point la situation
créée par Philippe le Bel était juridiquement confuse.
E)
L’Evêché de Viviers
Enhardi
par son coup de force, Philippe le Bel chercha à étendre son
pouvoir sur les territoires en rive droite du Rhône. En effet, par
le traité de Verdun de 843, les comtés qui chevauchaient les cours
d’eau frontaliers restaient terre d’Empire. Il en était résulté
notamment que le Vivarais n’avait pas été rattaché à la France
occidentale. Or, au début du XIVème siècle, le Vivarais ëtait
sous l’autorité du Comte-évêque de Viviers. La prise de contrôle
de l’Evêché par la France a sans doute été facilitée par
l’installation en Avignon d’un pape marionnette à la solde de
Philippe. Que cela ait suffi à juridiquement modifier la frontière
de l’Empire est une autre question.
F)
Le Comté de Lyon et de Forez
En
1312, Philippe le bel récidiva et s’empara de la Ville de Lyon et
de tout le Comté lyonnais. La voie de fait avait été précédée
d’épreuves de force avec l’Archevêque de Lyon. Par le traité
de Vienne, que Philippe violera rapidement, l’Archevêque lui
transféra le pouvoir temporel sur le Comté.
Cette
fois-ci, il y eut des protestations de l’Empereur Henri VII mais il
en aurait fallu davantage pour impressionner un démon de la trempe
de Philippe le bel.
Il
était le petit-fils de Louis IX dont l’Église catholique romaine
a hâtivement fait un saint. Ce monarque était incontestablement
très religieux mais il fut aussi l’un des premiers Rois de France
à passer à un antisémitisme actif, qui culmina en 1269 avec
l’imposition du port du signe de la rouelle sur les vêtements, une
sorte de préfiguration stigmatisante de l’étoile jaune nazie. Sa
mort d’une maladie infectieuse à Tunis dès l’année suivante ne
fut guère un hasard mais certainement un signe et un jugement.
Philippe
le bel perpétra pendant son règne moult spoliations et expulsions
de Juifs du Royaume. Il y avait à Paris, à la pointe occidentale de
l’actuelle Ile de la Cité, un îlot appelé alors « Ile aux
Juifs » car c’est là qu’on suppliciait ceux qui
s’aheurtaient à refuser d’embrasser la foi catholique romaine.
L’endroit n’était accessible que par barque, ce qui garantissait
le tranquille déroulement des exécutions, mais était bien visible
des deux rives de la Seine, depuis les actuels Quai de Conti et Quai
du Louvre, ce qui faisait des bûchers un spectacle où l’on venait
en famille … !
En
1314, Philippe comparut devant le juste Juge qui ne fait pas
acception des rois. Le plateau de la balance était lourd. L’épisode,
relaté dans le livre de Samuel, de la mort du méchant Roi Saül et
de ses trois fils les plus âgés, qui s’accompagna de la défaite
d’Israël et de la saisie de l’Arche de l’Alliance par les
Philistins, ouvrit une période tumultueuse qui se se termina par le
transfert de la royauté à David. Il y eut un peu de cela après la
mort de Philippe. Ses trois fils lui succédèrent, Louis le Hutin de
1314 à 1316, Philippe le Long de 1316 à 1322 et Charles le Bel de
1322 à 1328 sans avoir eux-mêmes de descendant mâle qui leur
survécût. Ce ne fut pas seulement la fin des Capétiens directs,
c’est à dire de la descendance directe d’Hugues Capet par
primogéniture mâle, mais aussi l’occasion de près d’un siècle
de conflits armés avec l’Angleterre, dont il est juste de dire que
le Roi avait de fort légitimes prétentions à succéder au trône
de France, en tant que petit-fils de Philippe le bel ! Nous y
reviendrons.
G)
Le Dauphiné de Viennois
C’est
au cours de cette période mouvementée que, criblé de dettes, le
prince du Dauphiné de Viennois chercha à le vendre au plus offrant
et c’est le Roi de France Philippe VI, neveu de Philippe le bel,
qui s’en porta acquéreur aux termes du traité de Romans en 1349.
Cela étant, le fait qu’un vassal vende à un tiers des terres et
les droits régaliens qui s’y exercent n’affecte pas en soi les
droits féodaux qu’un suzerain à sur lesdites terres. Or, en
l’occurrence, le Dauphiné de Viennois était bien terre d’Empire.
Comme
on le sait, ce serait dorénavant le fils aîné du Roi de France qui
serait Dauphin jusqu’à ce qu’il devienne Roi à son tour, auquel
cas son propre fils aîné devenait Dauphin. Est-ce que cette
construction visait à éviter que le Roi de France, s’il avait été
aussi Dauphin de Viennois, fût à ce titre vassal de l’Empereur ?
En tout cas, cela exprimait certainement, comme c’est le le cas de
l’Ile de Man pour le Royaume-Uni, qu’il s’agissait d’un
rattachement à la Couronne mais pas d’une fusion avec la France
elle-même.
H)
Le Comté de Provence
Dans le cas du Comté
de Provence, les choses furent juridiquement moins opaques car il
avait été affranchi de la suzeraineté de l’Empire au XIVème
siècle. Toutefois, lorsque le Comté obvint par héritage en
1481 au Roi Louis XI, les Etats de Provence formulèrent
dans un acte de droit public de 53 articles les conditions juridiques
qui devraient être appliquées et respectées. Il en résultait une
union à la Couronne, comme le reflètent clairement ces déclarations
des Etats de Provence : « de
se donner d’un coeur franc au Roi de France, et de le supplier de
les recevoir en bons et fidèles sujets, les laissant vivre dans
leurs statuts, coutumes, libertés et privilèges, avec assurance de
n’être jamais désunis et séparés de la royale Couronne, à
laquelle ils prétendaient être inséparablement attachés et unis,
non comme un accessoire à son principal, mais principalement et
séparément du reste du Royaume. »
Le Roi y répondit par Lettres patentes du 24 octobre 1486 en prenant
l’engagement suivant « Nous
avons, pour nous et nos Successeurs Rois de France, voulu et voulons
avoir et tenir nosdits Pays et Comtés de Provence, Forcalquier et
Terres Adjacentes, sous nous et nos successeurs à ladite Couronne de
France, perpétuellement et inséparablement, comme
vrai Comte et Souverain Seigneur d’iceux,
sans que jamais ils en puissent être aliénés ni transférés à
quelques personnes, ni pour quelques causes ni occasions que ce soit
ou puisse être en tout ou partie. Et quant à ce seulement, les
avons adjoints et unis à nous et à ladite Couronne, sans qu’en
icelle Couronne ni au Royaume ils soient, pour cela, subalternés
pour quelque cause ni occasion que ce soit, ni aussi que pour ce
aucunement puisse nuire, préjudicier, ni déroger à leurs libertés,
franchises, conditions, chapitres de paix, lois, coutumes, droits,
statuts, polices et manières de vivre esdits pays, qui leur ont été
octroyés et confirmés en général et en particulier, soit à gens
d’Eglise, nobles, villes, cités, communes et autres personnes
quelconques, tant par les feus Rois, Reines, Comtes et Comtesses
dudit Pays, qui par ci-devant ont été leurs lieutenans,
gouverneurs, grands sénéchaux, que par nous, mais iceux leur avons
de nouveau et d’abondant, par l’avis et délibérations que
dessus, confirmés, loués et approuvés de notre certaine science,
grace spéciale, pleine puissance et autorité royale par cesdites
présentes, signées de notre main, par lesquelles promettons en
bonne foi et parole de Roi, en jurons de tenir, garder et entretenir,
ensemble ladite union et adjonction inséparablement et pour
toujours, et voulons qu’iceux habitans en jouissent pleinement et
paisiblement, sans aucun contredit ni empêchement, nonobstant
quelconques, lettres, chartes et mandemens ».
En
d’autres termes, c’est en tant que Comte de Provence et non pas
Roi de France que Louis XI et ses successeurs auraient autorité sur
ladite Provence et cette autorité était bornée par ces différents
termes qui contenaient les conditions de droit international public
de l’union de la France et de la Provence comme deux entités
juridiquement séparées.
I)
Le Duché de Bretagne
Très
similaires seraient bientôt les conditions de l’union du Duché de
Bretagne à la Couronne de France, telles qu’elles résultaient du
contrat de mariage de Louis XII et d’Anne de Bretagne.
Il
faut avoir à l’esprit que la Bretagne n’avait pas fait partie de
l’Empire de France sous Charlemagne et Louis le pieux. Il y avait
bien eu une Marche de Bretagne, c’est à dire une occupation
militaire de l’est de la Bretagne pour contenir les incursions des
Bretons. Les marches, administrées par des comtes de marche ou
marquis, n’étaient pas formellement intégrées à l’Empire mais
plutôt des territoires occupées. Le statut n’était pas
juridiquement clair à une époque où, il est vrai, le Droit n’était
pas la prime préoccupation. Il y avait d’ailleurs également une
telle marche au sud de la presqu’île du Jutland pour contenir les
incursions des Danois et c’est d’elle que le Danemark tire son
nom actuel.
Par
conséquent, n’ayant pas fait partie de l’Empire de France, la
Bretagne ne fit pas davantage partie du Royaume de France occidentale
au Traité de Verdun.
Selon
les Annales de Saint Bertin, le Breton Erispoë, fils de Nominoë,
vint au devant du Roi de France Charles le Chauve
dans la cité d’Angers, se commanda à lui et reçut en don en
septembre 851 aussi bien les symboles de la royauté que la
confirmation des pouvoirs qu’avait exercés son père, avec, en
sus, les pays de Rennes, de Nantes et de Retz.
Deux
conséquences de cette paix d’Angers ne prêtent pas à discussion.
Tout d’abord, le Roi de France reconnut Erispoë comme Roi de
Bretagne. Ensuite, ce dernier rendit hommage à Charles le Chauve.
Cependant, pour le reste, il y eut au cours des siècles trois
interprétations bien différentes de la portée juridique de la paix
d’Angers.
La
thèse bretonne affirme la reconnaissance par la France de
l’indépendance de la Bretagne. Un Roi est l’égal
d’un Roi. Le régime de
l’ouest de la Bretagne, qui était
déjà indépendant de la France en 843, fut étendu à l’ancienne
Marche de Bretagne (les pays de Rennes, de Nantes et de Retz). La
paix d'Angers aurait donc abouti à unifier une Bretagne
juridiquement indépendante. Quant à l’hommage d’Erispoë à
Charles, ce serait un hommage simple, un engagement strictement
personnel de loyauté, une sorte de promesse de non-agression, sans
effet sur le statut juridique du Royaume de Bretagne vis-à-vis du
Royaume de France.
Côté
français, on rencontre deux thèses bien différentes. La première,
radicale, considère que c’est le statut de l’ancienne Marche de
Bretagne qui aurait été étendu à toute la péninsule, laquelle
serait devenue tout entière vassale de la France. L’hommage
d’Erispoë serait un hommage-lige qui ferait de toute la Bretagne
un fief dépendant de la Couronne. Cette thèse
est peu convaincante au regard de la reconnaissance par Charles
d’Erispoë en tant que Roi, donc pair.
Une
seconde thèse, plus modérée, considère que l’ancienne Marche de
Bretagne (les pays de Rennes, de Nantes et de Retz) serait restée
partie intégrante du Royaume de France et que c’est à ce titre
que les Rois de Bretagne seraient désormais redevables de
l’hommage-lige aux Rois de France.
Pour
compliquer les choses, les Rois de Bretagne allaient rapidement
étendre leur influence sur le Cotentin, la Mayenne et l’Anjou qui,
eux, faisaient incontestablement partie du Royaume de France, de
sorte que l’hommage-lige au Roi de France était bien requis en ce
qui concernait ces territoires.
Cette
situation allait être de courte durée à une époque où les
Vikings danois donnaient de la tablature tant aux Français, aux
Bretons, qu’aux Anglais. Installés dans leur nouveau Duché de
Normandie, ils allaient rapidement soumettre la Bretagne à un joug
pesant. A plusieurs reprises, les souverains de Bretagne, dénommés
désormais Ducs, durent se reconnaître vassaux des Ducs de Normandie
qui, à partir de 1066, sont aussi Rois d’Angleterre. Ainsi
vassalisée, la Bretagne ne serait plus jamais un royaume.
Ce
fait, qui n’est pas contesté, fait aussi l’objet de deux
interprétations divergentes. Du point de vue français, le Duché de
Normandie étant un fief de la Couronne de France, le Duché de
Bretagne est devenu un arrière-fief de la France.
Du
point de vue breton, le lien féodal vis-à-vis de la Normandie
n’entraîne pas de conséquence automatique vis-à-vis de la
France.
A
partir de 1186, une nouvelle étape est franchie dans la
subordination de la Bretagne à la Normandie. Elle devient en effet
directement gouvernée par une dynastie normande, ces mêmes
Plantagenêt qui sont Rois en Angleterre et Ducs en Normandie. Or,
depuis le mariage d’Alienor d’Aquitaine et du Roi Henry II
d’Angleterre, les Plantagenêt possèdent directement près de la
moitié de la France, de sorte qu'ils doivent à ce titre
l’hommage-lige au Roi. Ce faisant, il ne semble pas qu'ils aient
cherché à faire ressortir le statut spécifique du Duché de
Bretagne. Il ne subsiste de toute façon guère de sources
exploitables de cette époque qui soient juridiquement fiables.
Mais
un événement d'un impact historique considérable survint en 1202
lorsque, nous l’avons déjà
mentionné, le Roi de France
Philippe-Auguste emporta l’avantage sur son vassal Jean Sans Terre,
Roi d'Angleterre, auquel il confisqua la plus grande partie du Duché
de Normandie ainsi que les Comtés de Maine, d’Anjou et de Poitou.
De ses fiefs sur le continent, Jean ne conservera que l’Aquitaine.
Curieusement,
la Bretagne ne partagea pas ce sort. Philippe-Auguste aurait-il eu
des scrupules juridiques ? Il est bien difficile de le savoir.
L’histoire de la Bretagne fut ensuite suffisamment tumultueuse pour
qu’il soit fastidieux de la détailler
ici. On soulignera cependant que, au XIVème siècle, dans les actes
officiels et sur les pièces de monnaie des Ducs, on lit désormais
la formule ”Duc par la grâce de Dieu”. Or, dans la logique
féodale, un vassal ne pouvait détenir un fief que par la grâce de
son suzerain. La formule indiquait on ne peut plus clairement que les
Ducs ne reconnaissaient aucun lien de vassalité vis-à-vis de la
France et proclamaient ne tenir la Bretagne que de Dieu seul. Autre
signe ostensible, les Ducs portaient désormais une couronne royale à
hauts fleurons. De façon tout-à-fait conséquente, les Ducs se
garderont bien d’user du titre honorifique français de ”Duc et
pair”, préférant s’affirmer dorénavant « Rois en leur
Duché. »..
Une
anecdote est révélatrice à cet égard. En mai 1456, le Roi de
France Charles VII convoqua les Ducs et Pairs pour juger le Duc
d’Alençon accusé de trahison. Sollicité à ce titre, le Duc
Arthur III répondit que le Duché de Bretagne n’avait jamais fait
partie du Royaume de France et n’en était point un démembrement,
que le Duc de Bretagne n’était point Pair de France et ne voulait
point apparaître en cette qualité ni à la Cour des Pairs, ni
ailleurs.
Il
est constant que Anne allait être la dernière souveraine d’un
Duché de Bretagne indépendant du Royaume de France. Par ses
mariages de raison successifs avec deux rois de France, elle allait
donner un cours différent à l‘histoire de son pays.
Son
deuxième contrat de mariage, avec le Roi Louis XII, comporte des
clauses successorales garantissait la subsistance d’une Bretagne
politiquement et juridiquement séparée de la France par une
dynastie distincte : " Item,
et afin que le nom de la principauté de Bretagne ne soit et ne
demeure aboli dans les temps à venir, et que le peuple de ce pays
soit secouru et soulagé de ses nécessités et affaires, il a été
accordé que le second enfant mâle, ou fille à défaut de mâle,
venant de leur mariage, et aussi ceux qui naîtront respectivement et
par ordre, seront et demeureront Princes dudit pays, pour en jouir et
user comme avaient coutume de faire les Ducs ses prédécesseurs et
ils feront au Roi les redevances accoutumées ... Et si cette Dame
[la Duchesse Anne] allait de vie à trépas avant le Roi
très-Chrétien, sans laisser denfants,
en ce cas ledit Roi très-Chrétien jouira, seulement sa vie durant,
desdits Duché de Bretagne et autres pays et seigneuries que ladite
Dame tient à présent ; et après le décès du Roi
très-Chrétien les proches héritiers de ladite Dame succéderont
auxdits Duché et seigneuries, sans que les autres Rois ni
successeurs ne les en empêchent ou y mettent une condition
quelconque.
Le
contrat garantissait la pérennité des us, coutumes et lois propres
du Duché :”... C’est
à savoir que, en ce qui touche la garde et la conduite dudit pays de
Bretagne et de ses sujets en leurs droits, libertés, franchises,
usages et coutumes, tant au fait de l’Eglise, de la Justice, comme
de la Chancellerie, du Conseil, du Parlement, de la Chambre des
Comptes, de la Trésorerie Générale, et les autres relatifs à la
Noblesse et au commun peuple, afin qu’aucune loi ou constitution
n’y soit faite, sauf en la manière accoutumée par les Rois et
Ducs prédécesseurs de notre dite cousine la Duchesse de Bretagne,
nous voulons, entendons, accordons et promettons de garder et
d’entretenir ledit pays et nos sujets de Bretagne [le Roi parle en
tant que Duc de Bretagne] en leurs dits droits et libertés, ainsi
qu’ils en ont joui du temps des feus Ducs prédécesseurs de notre
dite cousine.”
Le Duché
gardait son indépendance fiscale au travers de ses Etats, c’est à
dire d’une assemblée relativement comparable à un parlement :
”...
quant aux impositions des fouages et autres subsides levés et
cueillis audit pays de Bretagne, que les gens des Etats dudit pays
soient convoqués et appelés dans la forme accoutumée.”
En matière
judiciaire et juridictionnelle, le statu
quo
était maintenu, à savoir pourvoi devant le Parlement de Paris
limité aux deux cas désormais traditionnels : ”
... que les sujets de ce pays [le
Duché]
n’en soient tirés en première instance, ni autrement que de barre
en barre et, en cas de ressort du Parlement de Bretagne [qui
était la juridiction supérieure du Duché] et
en déni de droit et dénégation de justice, en la matière
accoutumée du temps des Ducs prédécesseurs de notre dite cousine.
... pour
que les matières de finances, de crimes et de bénéfices finissent
au Parlement de Bretagne, sans qu’il en soit fait ailleurs ressort,
ainsi qu’il a toujours été, nous, sur ce point, voulons,
entendons, accordons et promettons de le faire ainsi et de maintenir
la forme et la manière accoutumée d’ancienneté.
... pour
qu’aucune exécution de mandements et autres exploits ne soient
faits audit pays de Bretagne, qu’il soit convenu et accordé que
les deux juges royaux et ducaux sur place en aient connaissance et
qu’ils comparaissent sur les lieux pour en décider et y mettre fin
; nous voulons, entendons, accordons et promettons de la faire ainsi,
suivant ce qui en sera avisé et conclu par les gens des trois Etats
dudit pays de Bretagne. Il en sera fait ainsi qu’on a accoutumé
d’ancienneté.”
Le Duché
conservait une large indépendance militaire :
” ...
que dans nos guerres que nous pourrions faire hors dudit pays de
Bretagne, les Nobles de ce pays ne soient sujets à nous servir hors
dudit pays, sauf en cas d’extrême nécessité, ou avec le
consentement de notre dite cousine et des Etats dudit pays, nous le
voulons ainsi, et nous entendons ne tirer lesdits Nobles hors dudit
pays sans grande ni extrême nécessité.”
Même la
souveraineté monétaire était préservée, dans une clause qui
soulignait l’indépendance des deux Etats l’un de l’autre :
” ...
pour ce qui est de nous nommer et intituler Duc de Bretagne dans les
choses qui concerneront le fait dudit pays, et de continuer la
monnaie d’or et d’argent sous le nom et titre de nous et de notre
cousine ; nous, sur ce, voulons, entendons et accordons, et
promettons de faire ainsi de sorte que les droits de la Couronne de
France et du Duché de Bretagne seront gardés d’une part et
d’autre ...”
Enfin, le
contrat prévoyait une procédure obligatoire de révision de ses
clauses qui démontre bien qu’il s’agissait de ce que l’on
appellerait aujourd’hui un traité international :
” ...,
s’il advenait une bonne raison d’apporter des changements,
particulièrement en augmentant, diminuant ou interprétant lesdits
droits, coutumes, constitutions ou établissements, que ce soit fait
par le Parlement et l’assemblée des Etats dudit pays, ainsi que
cela s’est fait de tout temps, et qu’on n’agisse pas autrement.
Nous voulons et entendons que cela se fasse ainsi, avec l’assentiment
des gens des trois Etats dudit pays de Bretagne.”
Après
la mort de Louis XII, qu’Anne avait devancé, son neveu François
1er
mit toute son industrie à subvertir les conditions de l’union de
la France et de la Bretagne, telles qu’elles résultaient du
contrat de mariage de Louis et d’Anne.
Mais
cela ne pouvait suffire. Ce Roi se rendait compte que lui ou ses
successeurs allaient inéluctablement tomber dans une fosse que ses
prédécesseurs avait creusée.
En
effet, en 1328, la France passa pour
la première fois depuis sa naissance en 843 par une crise dynastique
de grande ampleur. Dernier de trois fils de Philippe IV le Bel qui se
succédèrent
sur le trône de France sans postérité mâle, Charles IV le Bel
mourut à son tour le 1er février
1328. Son parent le plus proche, Isabelle de France, était
la veuve de feu le Roi d’Angleterre Edward II. Elle réclama la
Couronne de France pour son fils aîné, Edward III, qui n’avait
encore que 16 ans. Cette prétention, si elle eût
abouti, eût
placé sur cette jeune tête
à la fois la Couronne d’Angleterre et la Couronne de France.
Mais, à Paris, le parti des
Valois ne l’entendit pas de cette oreille. Il contra les
prétentions d’Isabelle en lui opposant une certaine "loi
salique" : "De terra
salica nulla portio hereditatis mulieris veniat sed ad virilem sexum
tota terræ hereditas perveniat."
La pertinence
de ce texte était loin d’être évidente. Il s’agissait
visiblement d’une disposition successorale d’ordre strictement
foncier. Et la notion de "terre salique" aurait gagné à
être définie. Si ce texte, documenté seulement à partir du IXème
siècle, devait vraiment remonter au temps de Clovis, il est assez
probable qu’il se fût rapporté au régime de personnalité des
lois et visait alors à empêcher qu’une terre ayant appartenu à
un Franc puisse passer entre des mains gallo-romaines à la faveur
d’un mariage exogamique de l’héritière. Mais
prétendre appliquer un tel texte à la succession à la Couronne de
France constituait une monumentale supercherie juridique.
Il
est également intéressant de s’arrêter sur les autres
"arguments" qui avaient été apportés par les partisans
des Valois tout au long de la longue contestation avec les héritiers
d’Isabelle de France. Ils remontaient aux circonstances dans
lesquelles le Roi des Francs saliens Clovis avait embrassé la foi
chrétienne, selon le récit qu’en fit Grégoire de Tours au VIIème
siècle.
Dans un récit encore moins contemporain de la seconde moitié du
IXème
siècle,
l’évêque de Reims Hincmar ”révéla” plusieurs détails omis
par Grégoire de Tours, notamment que, au moment où Clovis entrait
dans les eaux du baptême, l’Esprit saint Lui-même serait venu
apporter à Rémi l’ampoule de chrême pour l’oindre. Un ange
aurait alors remis à Clovis une fleur de lys et une oriflamme comme
emblèmes sacrés de sa royauté. Edward d’Angleterre ne pouvait
donc porter la Couronne de France ... puisque son blason était
dépourvu de fleur de lys. Plus fort encore, l’onction de Clovis
par le saint chrême lui aurait donné le pouvoir de guérir les
malades. Par conséquent, la royauté était en France assimilable à
une prêtrise, ce qui rendait impossible qu’elle pût être
transmise par femme.
Comme
on l’a déjà vu, le Royaume de France occidentale n’était qu’un
démembrement d’un Royaume qui, trois siècles après Clovis avait
crû jusqu’à devenir un Empire de France s’étendant des
Pyrénées à la Mer baltique. Il était donc singulier que, si des
règles affectant la transmission de la Couronne de France eussent
remonté à Clovis, elles ne fussent d’application qu’à la seule
Couronne de France occidentale.
Malgré
l’énormité de ces arguties, la Couronne resta sur la tête des
Valois, même si la France dut payer cette dynastie au prix fort de
plus d’un siècle de conflits avec des Rois d’Angleterre qui
avaient eu l’audace de douter de la validité juridique de
"l'argumentation" qui leur avait été opposée.
En deux
siècles, les Valois eurent des occasions de méditer sur la règle
de droit romain "patere legem quam
fecisti". Or, c’est bien le cœur
de la question bretonne sur laquelle des générations de
jurisconsultes des Rois de France auront eu à se casser la tête
car les règles de succession au
Duché étaient radicalement différentes de la "loi salique",
réinterprétée par les Valois. Non seulement les femmes pouvaient
transmettre la Couronne ducale à leur fils mais elles pouvaient
elles-mêmes en hériter à défaut d’héritier mâle.
Inévitablement,
malgré toutes les entorses qu’il avait déjà faites au contrat de
mariage d’Anne et de Louis, traité fondateur des relations entre
Bretagne et France, François Ier
savait
que, tôt ou tard, les Couronnes de Bretagne et de France finiraient
par se poser sur des têtes différentes.
Pour
obtenir le rattachement pur et simple du Duché à la Couronne de
France, il fallait modifier les termes de l’union résultant du
contrat d’Anne et de Louis,, ce qui requérait l’accord des Etats
de Bretagne. François allait donc se faire assister par différents
métaux. D’abord, l’or et l’argent pour soudoyer et le fer des
armes pour intimider.
Le
6 août 1532, une requête était ainsi officiellement lue aux Etats
en présence du Roi et de son fils aîné François. Elle se
composait principalement des points suivants :
-
le Dauphin était reconnu comme Duc propriétaire du Duché. Toutes
les clauses contraires étaient révoquées ou abolies, notamment
celles du contrat de mariage de Louis XII et Anne ;
-
la Bretagne était unie et jointe à perpétuité à la France ;
-
les privilèges du pays seraient gardés et maintenus.
François
Ier
partit
pour Nantes et y publia le 13 août l’Edit de Vannes portant union
de la Bretagne à la Couronne. Cet édit était cependant la sanction
d’un acte de droit international public en ce qu’il scellait
l’union de deux Etats jusqu’alors distincts, de sorte que le
respect de ses dispositions en conditionnait juridiquement la
pérennité.
Voici une
partie du texte, modernisé, de la lettre patente concernant les
privilèges et les franchises de la Bretagne que François Ier
avait
signée :
”...
nous confirmons, louons, ratifions et approuvons tous et chacun
lesdits privilèges, exemptions, franchises et libertés à eux
octroyés et concédés, comme il est dit, par nos dits prédécesseurs
Ducs de Bretagne, et dont ils ont toujours joui en chacun desdits
Etats, et pareillement au fait et administration de la Justice,
villes, lieux et communautés de ces pays et Duché, voulant qu’ils
en jouissent dorénavant et par la suite perpétuellement et
toujours, ainsi et dans la forme et de la manière qu’ils ont
antérieurement bien et dûment fait, jouissent et usent encore à
présent, réservé toutefois ce que les gens mêmes desdits Etats
nous pourrons requérir être réformé ou changé pour le bien,
profit et utilité dudit pays ...”
En cette
matière, les dispositions du contrat de mariage de Louis XII et
d’Anne étaient confirmées, seuls
les Etats avaient compétence pour valider une modification des
termes de l’union de la France et de la Bretagne.
L’Edit
de Vannes fut complété le 3 septembre d’un Edit de Plessis-Macé
qui confirmait expressément plusieurs points clefs de l’autonomie
bretonne, notamment en matière fiscale et juridictionnelle.
J)
Les Evêchés de Metz, de Verdun et de Toul
A la faveur d'un accord secret conclu à Chambord en janvier 1552
avec des princes protestants du Saint-Empire en échange du soutien
du Roi contre Charles Quint, les armées d'Henri II pénétrèrent
dans le territoire des trois Evêchés de Metz, de Toul et de Verdun
ainsi que dans les deux villes impériales qui furent occupés
militairement. En apparence, la souveraineté de l'Empereur n’était
pas mise en cause mais le coup de force fut sans commune mesure avec
ce qui avait été entrepris auparavant. Dorénavant, ce fut la
France qui géra une partie considérable de la Lorraine actuelle.
Henri II, fils de François Ier, époux
de Catherine de Medicis, eut pour maîtresse Diane de Poitiers qui
avait été aussi vraisemblablement la maîtresse de son propre père.
C’est précisément ce que la Torah appelle « découvrir
la nudité de la femme de son père »
(Levitique 18:8). Dieu avait dit aux Hébreux à cet égard :
« Ne
vous souillez par aucune de ces choses, car c'est par toutes ces
choses que se sont souillées les nations que je vais chasser devant
vous. Le pays en a été souillé; je punirai son iniquité, et le
pays vomira ses habitants.Vous observerez donc mes lois et mes
ordonnances, et vous ne commettrez aucune de ces abominations, ni
l'indigène, ni l'étranger qui séjourne au milieu de vous. Car ce
sont là toutes les abominations qu'ont commises les hommes du pays,
qui y ont été avant vous; et le pays en a été souillé. Prenez
garde que le pays ne vous vomisse, si vous le souillez, comme il aura
vomi les nations qui y étaient avant vous. Car tous ceux qui
commettront quelqu'une de ces abominations seront retranchés du
milieu de leur peuple »
(Lévitique 18:24-29). Je le répète, même s’il ne s’agit pas
de l’alliance d’Israël avec Dieu, les Francs et leurs
descendants – nous ! - sont liés par une alliance avec le
Dieu de la Bible et elle n’est pas impunément transgressée.
Henri
II infléchit de façon nettement répressive l’attitude du pouvoir
vis-à-vis des Français que Calvin avait convaincus que la Parole de
Dieu compilée dans la Bible était le seul fondement de la foi
chrétienne. Tout son règne fut ponctué d’édits répressifs de
la religion réformée. Le dernier, signé à Ecouen le 2 juin 1559,
atteint un comble dans l’iniquité puisqu’il autorisait la mise à
mort sans procès des protestants considérés comme révoltés ou en
fuite. Le Parlement de Paris résistera à son enregistrement et le
Roi fera incarcérer les parlementaires qui maintiendront leurs
objections juridiques. L’un d’entre eux, Anne du Bourg, sera même
supplicié.
Mais
il y a dans les Cieux un juste Juge qui ne laisse pas l’iniquité
impunie. Le 30 juin 1559, à l’occasion d’un tournoi, la lance de
son adversaire soulève la visière du heaume du Roi et lui
transperce l’oeil, livrant Henri II à dix jours d’une longue
agonie. Ensuite, pour la seconde fois dans l’histoire du Royaume,
trois frères se succéderont au Trône. Francois II mourra dès
1560. Le nom de Charles IX reste lié au terrible massacre de la
Saint-Barthelemy auquel il ne survivra que deux ans (1574). Henri III
régnera à sa suite jusqu’en 1589 et sera emporté des suites de
l’infection provoquée par la dague du moine Clément. C’est
aussi en cette époque que la France sera livrée aux affres de la
terrible guerre civile dont la confession fut le prétexte, culminant
par les horreurs du 24 août 1572, couvrant le catholicisme français
d’une flétrissure de sauvagerie et de barbarie dont le souvenir
reste vivace au bout de plusieurs siècles.
K)
La Bresse et Bugey
C’est
par le traité de Lyon de 1601 que le Roi Henri IV obtint du Duc de
Savoie la Bresse, le pays de Bugey et le pays de Gex en échange
desquels le Duc se vit reconnaître le Marquisat de Saluces.
L)
Les traités de Westphalie (Munster) et des Pyrénées
Au
XVIIème siècle, l’expansionnisme de la France occidentale prend
une forme beaucoup plus agressive et violente. Deux figures émergent,
celles de grands prélats de l’Église catholique romaine, les
Cardinaux de Richelieu et Mazarin. Que penser d’une institution qui
pouvait légitimer en son sein de pareils fourbes ? Le nom de
« chrétien » fait mémoire d’un homme qui, lorsqu’il
fut injustement arrêté, empêcha ses disciples de réagir
violemment : « Celui
qui se sert du glaive, périra par le glaive »
(Mat. 26:52). Ces hommes, qui persécutaient les protestants en
France, soudoyaient des monarques protestants, le Roi de Danemark,
puis le Roi de Suède, pour ravager des régions de confession
catholique romaine en France orientale et dans ce qui restait de la
France médiane. Plus de la moitié de la population mourut en
Lorraine, en Alsace, au Luxembourg … et ailleurs ! « A
ceci tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de
l'amour les uns pour les autres » (Jean 13.35). De qui de
tels gens sans foi ni loi étaient-ils
donc les disciples ?
La
guerre de 30 ans se termina par le traité de Münster. Comme il
s’agissait d’un traité entre le Saint-Empire et le Royaume de
France, il put juridiquement modifier les frontières de celui-ci
d’une manière indisputable.
Le
traité officialisait le rattachement à la France des Evêchés de
Metz, de Verdun et de Toul qui étaient militairement occupés depuis
pratiquement un siècle. Les Habsburg cédèrent à la France les
fiefs qu’ils tenaient sur la rive gauche du Rhin, le Sundgau, mais
aussi la forteresse de Breisach sur la rive droite. Ce n’est pas
toute l’Alsace qui passa à la Couronne de France. Strasbourg et
Mulhouse restèrent dans l’Empire ainsi que maints autres petits
territoires.
Pourtant,
Mazarin continua la guerre pendant 11 ans en la dirigeant contre des
territoires de la France moyenne appartenant au Royaume d’Espagne.
Cette guerre-ci se termina, bien provisoirement, avec le traité des
Pyrénées. Par celui-ci, la France s’empara du Comté d’Artois
ainsi que de divers territoires luxembourgeois autour de Thionville
ainsi que de Montmédy, Carignan et Damvillers. Au sud, la France se
vit rattacher le Roussillon. Toutefois, cette région avait bien fait
partie du Royaume de France occidentale créé au traité de Verdun
de 843. Elle avait toutefois été cédée au Roi d’Aragon par
Louis IX au traité de Corbeil de 1258.
M)
Louis XIV
Ce
Roi de France mérite certainement une mention toute particulière.
Son arrogant orgueil, confinant à la mégalomanie, n’avait d’égal
que son libertinage. Son château de Versailles grouillait de bâtards
du Roi « très chrétien ». « Ne
savez-vous pas que les injustes n'hériteront point le royaume de
Dieu? Ne vous y trompez pas: ni les impudiques, ni les idolâtres, ni
les adultères, ni les efféminés, ni les infâmes, ni les
voleurs, ni les cupides, ni les ivrognes, ni les outrageux, ni les
ravisseurs, n'hériteront le royaume de Dieu »
(1 Corinthiens 6:9-10).
Par
sa mère Anne d’Autriche, il était incontestablement un Habsburg.
Mais pour le reste, le doute est nourri par plusieurs éléments.
Quelque macabre que cela soit, il est intéressant de se pencher sur
le récit que fit Henri Martin Manteau de l’exhumation des
dépouilles des Rois de France à laquelle Dom Druon lui avait permis
d’assister au mois d’octobre 1793. De Henri IV, il dit que
l’homme était de stature moyenne et avait les épaules larges. En
revanche, son fils Louis XIII « était
mince de corps et de taille médiocre ».
C’est donc avec une certaine surprise qu’on lit la relation de
l’ouverture du cercueil de Louis XIV « A
l'ouverture de ce cercueil, on reconnut ce monarque, sa haute taille,
son âge au temps de sa mort et ces mêmes traits caractéristiques
que les arts ont fait revivre; le corps, bien conservé, était d'une
couleur d'ébène ». En règle
générale et en moyenne, les humains de sexe masculin sont plus
grands que les humains de sexe féminin, ce qui implique que le
chromosome spécifique du sexe masculin, le chromosome Y, joue un
rôle important à cet égard. Certes, il y a des sœurs plus grandes
que leurs frères. Mais il est a priori singulier qu’un homme de
taille médiocre ait enfanté un fils de haute taille.
Il
est aussi établi que Louis XIII n’approchait que fort rarement son
épouse Anne d’Autriche. On lui connaît, par contre, de vives
affections pour Charles de Luynes puis pour le marquis de Cinq-Mars,
au point d’accréditer la suspicion de bougrerie. C’est fort
tard, après 23 ans de mariage, qu’Anne d’Autriche mit au monde
le futur Louis XIV. Ce fut à cette occasion que Louis XIII décida
le 10 février 1638 de consacrer le Royaume de France à la « Vierge
Marie ». Comme chacun sait, Joseph n’était pas le père
génétique de Jésus. Cela rend donc les circonstances de cette
« consécration » d’emblée singulières.
Si,
vu son jeune âge, Louis XIV n’avait pas eu la responsabilité des
ravages terribles dont s’étaient rendu coupables de Richelieu et
Mazarin, c’est bien lui qui avait fait main basse sur la
Franche-Comté de Bourgogne rattachée au Royaume de France par le
traité de Nimègue de 1678, dans la foulée duquel il spoliera le
Duché de Lorraine de la ville de Longwy.
Après
l’avoir assiégée, Louis XIV s’empara de Strasbourg le 24
octobre 1681, ce qui sera juridiquement acté 16 ans plus tard au
traité de Ryswick. Enhardi, le Roi s’engagea dans l’inique
politique dite des « réunions » qui ne furent que des
spoliations de territoires indépendants de la Couronne de France.
Toutefois, une coalition de souverains européens y mettra bon ordre
et le Roi fut finalement contraint à la restitution de la plupart de
ce qu’il avait vilement friponné.
« L'Eternel,
l'Eternel, Dieu miséricordieux et compatissant, lent à la colère,
riche en bonté et en fidélité, qui conserve son amour jusqu'à
mille générations, qui pardonne l'iniquité, la rébellion et le
péché, mais qui ne tient point le coupable pour innocent, et qui
punit l'iniquité des pères sur les enfants et sur les enfants des
enfants jusqu'à la troisième et à la quatrième génération! »
(Exode 34:6-7). Aucun des fils, ni même des petits-fils de Louis XIV
ne lui succéda. Louis XV était son arrière-petit-fils. On n’y
voit guère la bénédiction du Tout-puissant. Et, sachant que, en
fait de « vierge Marie », c’est sous le nom de « reine
du ciel », comme au chapitre 44 de Jérémie, qu’est vénérée
celle à laquelle le Royaume de France fut consacré en 1638, les
conditions de bien lourdes malédictions étaient réunies et l’on
ne s’étonne dès lors guère qu’un tel patronage ait accouché
d’un « Roi soleil » de l’immoralité.
N)
Le Duché de Lorraine et la pragmatique sanction
Le
Duc François de Lorraine se maria avec l'Archiduchesse Marie-Thérèse
le 12 février 1736. La perspective d'une Lorraine intégrant
l'héritage des Habsbourg ne suscita guère l’enthousiasme à
l’ouest de la Meuse. Aussi, le Duc François fut-il contraint
d’échanger la Lorraine contre la Toscane tandis que, pour ménager
une annexion en douceur, le roi Louis XV confia les Duchés à titre
viager à son beau-père, l'ex-Roi de Pologne Stanislas Leszczynski.
Le Duc François partira à Florence avec l'essentiel de sa Cour et
de l'élite lorraine, très attachée à l'Empire.
Par
une pirouette de l'histoire, il ne s'écoulera pas quarante ans et
l'une de ses filles deviendra Reine de France. Celle qui brillera
d'un si grand éclat à Versailles avait donc le français pour
langue paternelle, de sorte que la vile populace parisienne qui
beuglait sa haine de l'"Autrichienne" le triste matin du 16
octobre 1793 niait au fond tout autant la "francité"
de la Lorraine.
Notons
également que Marie-Thérèse devint Impératrice du Saint-Empire,
c’est à dire fut couronnée de la Couronne impériale qui avait
été celle de Charles le grand, de Louis le pieux et de Lothaire, ce
qui confirme le caractère d’affabulation juridique de
l’application de la prétendue « loi salique » à la
transmission de la Couronne de France occidentale.
O)
Le Comté de Charolais
Bien
que le traité des Pyrénées confirmât la souveraineté des Rois
d’Espagne sur le Comté de Charolais, son caractère d’enclave
favorisa la prise de pouvoir progressive de la France jusqu’au
rattachement officiel à la Couronne en 1761.
P)
La fin de la Couronne de France
Sans
qu’il soit nécessaire de s’attarder sur l’achat de l’Ile de
Corse à la République de Gênes, le territoire qui est appelé en
Europe « Royaume de France » à la veille de la
révolution de 1789 n’est pas un Etat unitaire mais, comme le
demeure la Couronne d’Angleterre jusqu’aujourd’hui, un
conglomérat d’Etats placés sous une même Couronne. Au Royaume de
France occidentale sont juxtaposés, notamment, un Duché de Bretagne
et un Comté de Provence qui conservent leur propresinstitutions,
leurs propres lois et coutumes. Il est significatif que, jusqu’en
1789, seuls des territoires qui faisaient partie du Royaume de France
occidentale au traité de Verdun sont des pays d’élection, à la
seule exception du Lyonnais. Du point de vue fiscal, la Bretagne, la
Provence, le Dauphiné, le Lyonnais, la Franche-Comté, l’Artois,
la Flandre française constituent des « provinces réputées
étrangères » tandis que l’Alsace, la Lorraine et le
Luxembourg français sont même considérés comme « étranger
effectif ».
Comme on le
sait, la réunion des Etats généraux devait être le premier acte
de la révolution française. Le 17 juin 1789, le tiers état refusa
le vote par ordre et se proclama "Assemblée nationale".
Après que le clergé et, de mauvais gré, la noblesse, l’auront
rejointe, elle s’autoproclame "Assemblée nationale
constituante" le 9 juillet.
Après
la prise de la forteresse de la Bastille, un climat insurrectionnel
gagne tout le pays. C’est la grande peur et son cortège d’émeutes,
de pillages, d’exécutions sommaires caractéristique de toutes les
périodes où l’ordre public n’est plus assuré.
Et c’est
dans ce climat que survint la fameuse nuit du 4 août 1789. Pour
bien comprendre l'énormité de l'illégalité qui s'y produisit
alors que, dans une exaltation fébrile, des députés sans mandats
renoncèrent à des droits et privilèges dont personne ne leur avait
donné la disposition, il suffirait d'imaginer que les députés au
Parlement européen se missent à décider de la dissolution de la
France et des autres Etats membres, de la suppression de leur
constitution, de la disparition de leur ordre juridique.
Il
y avait cependant encore quelques têtes douées de raison dans cette
assemblée fanatisée. Je reproduis, à cause de sa rigueur
juridique, le discours de l’abbé Maury.
« Le
fait que vous allez examiner dans ce moment est extrêmement simple.
Onze magistrats qui formaient la Chambre des vacations de Rennes ont
refusé, après l'expiration de leurs pouvoirs, d'enregistrer les
lettres patentes rendues sur votre décret du 3 novembre pour
protéger indéfiniment leur commission et les vacances du Parlement.
Ce refus vous est dénoncé comme un crime de lèse-nation. Je n'ai
l'honneur d'être ni Breton, ni magistrat ; mais, revêtu du
caractère de représentant de la nation, je dirai la vérité avec
tout le courage du patriotisme. J'invoquerai la justice en faveur de
ces mêmes sénateurs qui, après en avoir été si longtemps les
fidèles ministres, semblent menacés aujourd'hui d'en devenir les
victimes. Je considérerai cette grande question sous trois rapports
: relativement à la province de Bretagne dont j'approfondirai les
droits ; relativement à la conduite des magistrats qui formaient la
Chambre des vacations à Rennes, dont je discuterai les motifs ;
relativement enfin aux divers décrets qui vous sont proposés dont
je développerai les conséquences.
Un
principe fondamental qu'il ne faudra jamais perdre de vue dans cette
cause, et qui n'est même pas contesté, c'est que la province de
Bretagne jouit, par sa constitution, du droit de consentir dans ses
Etats la loi, l'impôt et tous les changements relatifs à
l'administration de la justice : cette belle prérogative est la
condition littérale et dirimante de la réunion de ce Duché à la
Couronne de France.
Ce
principe étant généralement reconnu dans cette assemblée,
j'observe, d'abord, messieurs, que la différence du droit public qui
régit plusieurs de nos provinces, n'est point particulier à
l'organisation de la France. Depuis qu'un petit nombre de familles
s'est partagé la souveraineté de l'Europe, les grands Etats se sont
successivement étendus, et à des conditions toujours inégales, par
des alliances, par des successions, par des traités ou par des
conquêtes. Nous ne connaissons aucune puissance du premier ordre
dont les sujets sont soumis à des lois uniformes. L'Irlande et
l'Ecosse ne jouissent pas des mêmes droits que l'Angleterre.
L'Autriche, la Hongrie et la Bohème diffèrent autant par la
législation que par la langue des peuples qui les habitent. Je
n'étends pas plus loin cette énumération qu'il me suffit de vous
indiquer. Je remarque seulement que, quelque désirable que soit
l'unité de gouvernement, aucune monarchie en Europe n'a pu parvenir
encore à cette identité de droit public dans toutes ses provinces.
Mais
cette différence de prérogatives ne doit pas exciter plus de
jalousie entre les provinces que l'inégalité de fortunes entre les
citoyens. L'intérêt commun est que la justice soit respectée. Tous
les droits particuliers reposent sous la sauvegarde de la foi
publique. Ce sont des barrières élevées contre le despotisme,
qu'il faut accoutumer à s'arrêter devant les contrats qui le
repoussent, pour l'avertir souvent que le pouvoir a ses limites. Il a
besoin que ces conventions toujours réclamées lui rappellent que
les peuples ont des droits, et c'est ainsi que les privilèges
particuliers d'une province deviennent le bouclier de tout un
royaume.
Les
prérogatives de la Bretagne n'ont par conséquent rien d'odieux pour
la nation française, si elles émanent d'une convention libre et
inviolable. Cette convention que M. le Comte de Mirabeau a paru
dédaigner avec tant de hauteur, comme l'une de ces fables de
l'antiquité que des législateurs doivent reléguer
philosophiquement dans la poussière des bibliothèques, cette
convention, Messieurs, n'est pas éloignée de nous de plus de deux
siècles et demi.
Je ne
dirai donc pas, comme cet orateur, que la Bretagne mériterait d'être
écoutée si elle produisait des titres anciens comme le temps et
sacrés comme la nature, parce qu'en parlant ainsi je ne dirais rien
; mais je vais tâcher de prouver que la Bretagne a des droits aussi
anciens que la monarchie et aussi sacrés que les contrats ; et si je
démontre qu'en vertu de ces droits on ne peut faire aucun changement
dans l'administration de la justice en Bretagne sans le consentement
des Etats de cette province, je n'aurai pas sans doute la gloire de
vous avoir proposé un système philosophique, mais je croirai avoir
bien raisonné en prenant la défense des magistrats bretons.
L'Armorique
ou la Bretagne fut démembrée de la monarchie française dès la
première race de nos rois. (...) et elle continua d'être
indépendante de la nation française sous l'empire des Ducs de
Bretagne.
La
réunion de la Bretagne à la France avait été, pendant plusieurs
siècles, le grand objet de la politique de nos Rois. Le dernier Duc
de Bretagne, François II, étant mort sans enfants mâles, Anne de
Bretagne, sa fille unique et son héritière, était déjà fiancée
à l'Empereur Maximilien, mais le Roi Charles VIII parvint à faire
rompre ce projet de mariage et épousa lui-même Anne de Bretagne en
1491.
Je ne
m'arrête point dans ce moment aux clauses de ce contrat de mariage.
On le cite souvent comme la véritable origine des privilèges de la
Bretagne ; mais nous verrons bientôt que les droits de cette
province sont fondés sur un contrat plus récent, dans lequel les
Bretons eux-mêmes ont transigé avec le représentant souverain de
la nation française.
Charles
VIII qui, pour épouser Anne de Bretagne, avait renvoyé Marguerite,
fille de l'Empereur Maximilien, quoiqu'elle eût déjà porté le
titre de Dauphine, mourut sans postérité à l'âge de vingt-sept
ans.
... Pour
assurer la réunion de cette grande province à la Couronne, le
successeur de Charles VIII, le bon père du peuple Louis XII, épousa
Anne de Bretagne lorsqu'il eut fait déclarer nul son mariage avec
Jeanne de Valois, qu'il avait épousée depuis vingt ans et qui,
après son divorce, alla fonder les Annonciades à Bourges.
Louis
XII n'eut de son mariage avec Anne de Bretagne que deux filles,
Madame Claude et Madame Renée de France. La loi salique n'ayant
jamais été admise en Bretagne, les filles héritaient de ce Duché
comme des autres grands fiefs du Royaume. Ce fut pour en prévenir
une seconde fois le démembrement que Louis XII fit épouser sa fille
Claude au Duc d'Angoulême, son héritier présomptif.
Ce
dernier prince, devenu si célèbre sous le nom de François Ier,
eut deux enfants mâles de son mariage avec la fille de Louis XII.
L'aîné de ces princes, Henri II, était appelé par droit de
primogéniture au trône de France, et le cadet, Duc d'Angoulême,
devait hériter du Duché souverain de Bretagne, en vertu du contrat
de mariage d'Anne, son aïeule, avec Louis XII.
La
France, alarmée de ce nouveau démembrement de la Bretagne dont elle
ne voyait plus le terme, pressa François Ier de consommer, par un
contrat synallagmatique et irrévocable, la réunion de cette
province à la Couronne. Pressé par les vœux de tout son peuple,
François Ier alla tenir lui-même les Etats de Bretagne à Vannes en
1532. Ces Etats de Bretagne, dont on trouve aujourd'hui
l'organisation si vicieuse, conclurent le traité au nom de tout le
peuple breton : les deux nations transigèrent ensemble. La Bretagne
fut unie à jamais à la Couronne de France ; et le contrat qui en
renferme les conditions a été ratifié, depuis cette époque, de
deux ans en deux ans, par tous les successeurs de François Ier
jusqu'en 1789.
C'est
l'exécution littérale de ce traité de Vannes en 1532 que réclament
les Bretons. Il n'y a plus rien de sacré parmi les hommes si un
pareil titre n'est pas respecté. La propriété individuelle de
chaque citoyen, fondée sur l'autorité des contrats, n'a point
d'autre base que les droits de cette province, qu'on appelle si
improprement ses privilèges. Le peuple breton n'en jouit qu'à titre
onéreux puisqu'il ne se les a assurés qu'en renonçant à la plus
belle de toutes les prérogatives, je veux dire au droit d'avoir son
souverain particulier. J'avertis les membres de l'Assemblée
nationale, qui nous parlent avec dédain des franchises de la
Bretagne, que s'ils veulent nous réfuter, c'est à ce raisonnement
surtout que nous les invitons, ou plutôt que nous les défions de
répondre jamais.
Le
danger du démembrement prévu par François Ier
était plus réel qu'il ne se l'imaginait lui-même. Outre la
séparation de la Bretagne, qui était annoncée par la succession
collatérale de son fils cadet, cette province aurait été dévolue
ensuite à d'autres princes qui en seraient devenus les héritiers
naturels. Car la loi salique, je le répète, n'a jamais été admise
en Bretagne : la représentation même y a toujours eu lieu ; et, par
conséquent, les filles pouvaient en hériter comme la Reine Anne
elle-même. Or, Messieurs, la branche masculine des Valois fut
éteinte à la mort de Henri III en 1589 ; mais la postérité
féminine des Valois existe encore aujourd'hui dans les maisons de
Lorraine et de Savoie, qui régneraient en Bretagne sans l'exclusion
du traité de Vannes en 1532.
Tous les
engagements des contrats sont réciproques. Il est donc démontré,
et je ne crains pas de le publier en présence des représentants de
la nation française, que la Bretagne est libre, et que nous n'avons
plus aucun droit sur cette province si nous ne voulons pas remplir
fidèlement les conditions du traité qui l'a réunie à la Couronne.
Cette
conséquence découle de tous les principes sur lesquels l'ordre
social est établi, et vous voudrez bien ne pas oublier, Messieurs,
que l'une des clauses de ce contrat porte formellement que la
Bretagne aura un Parlement, une chancellerie, une Chambre des
comptes, et qu'il ne sera fait aucun changement à l'administration
de la justice dans cette province sans le consentement de ses Etats.
...
Lorsque, dans la fameuse nuit du 4 août dernier, les représentants
des provinces ont souscrit à l'abrogation de leurs privilèges, les
soixante-dix députés de la Bretagne nous ont déclaré qu'ils
étaient sans mission et sans pouvoirs pour faire un pareil sacrifice
au nom de leurs commettants. Ils nous ont promis de les solliciter et
nous ont annoncé l'espérance de l'obtenir ; mais la défense que
vous avez faite aux provinces de s'assembler n'a pas encore permis à
la Bretagne de délibérer sur cette renonciation. Inutilement
prétendrait-on remplacer ce vœu d'une province par les adresses des
villes qui adhèrent à tous nos décrets. Qui ne sait, Messieurs,
que ces signatures souvent mendiées ou extorquées, ou même
contraintes, n'ont aucune force dirimante pour anéantir un contrat ?
... Non,
l'unanimité de ces vœux individuels ne saurait jamais former un vœu
collectif, parce que les contrats doivent être révoqués de la même
manière qu'ils ont été sanctionnés. Ce principe de droit public
nous indique le degré d'autorité de toutes les adresses que nous
recevons des provinces. C'est donc avec les Etats constitutionnels de
la Bretagne que nous devons traiter la grande question des droits qui
appartiennent à cette province. Quand je dis les Etats de Bretagne,
Messieurs, je n'oublie point toutes les plaintes qui se sont élevées
contre leur organisation. Déjà cette assemblée a déclaré
elle-même qu'elle consentirait à une répartition d'impôts plus
égale, mais on ne peut pas en innover le mode par provision. Il est
de toute justice d'améliorer la composition de ces Etats ; comme il
est de toute évidence que c'est avec les Etats qu'il faut en
concerter la réforme, et transiger sur les droits constitutionnels
que la France a stipulés avec les Bretons.
...
A l'époque de la convocation des Etats généraux, tous les cahiers
du clergé et des communes de Bretagne demandent unanimement la
conservation des droits, franchises et privilèges de la province.
Les mandats qui n'énoncent à cet égard que des réserves
constitutionnelles, et par conséquent inattaquables, sont tellement
impératifs ou plutôt tellement résolutoires, que les Bretons
déclarent ne vouloir se soumettre à aucune décision de l'Assemblée
nationale, à moins que nos décrets n'aient été librement adoptés
par les Etats particuliers de la province. Ce n'est qu'à cette
condition que la Bretagne nous a envoyé des députés, en se
réservant ses franchises que la nation française n'a pas le droit,
et par conséquent le pouvoir de lui enlever ..."
Ceux qui allèrent
bientôt instituer le culte à la déesse « Raison »
n’écoutèrent pas la voix de la raison.
Quelque
chose d’une essence toute différente allait être fondé, mélange
de rousseauisme et de maconnisme. Si l’État qui devait en résulter
fut encore un royaume jusqu’au 21 septembre 1792, il ne s’agissait
plus de la Couronne qui avait été créée au traité de Verdun.
Pour
la troisième fois, trois frères allaient encore se succéder sans
qu’une postérité prît leur relève, Louis XVI, Louis XVIII et
Charles X, avec lequel prit fin ce qui avait encore subsisté d’un
pouvoir tenu d’en haut, de la grâce de Dieu. A nouveau, les
peuples de France allaient passer par une longue et ténébreuse
période de troubles sociaux, de violence, de guerre civile et de
guerre tout court, de disette, d’iniquité ...
Il
ne faut pas embellir ce qu’avait été la royauté capétienne.
Elle rappelle plus souvent les rois d’Israël que ceux de Juda. On
cherche à grand peine un roi qui n’ait pas été adultère,
débauché, voire même bougre, intrigant, parjure, cauteleux, ennemi
du Droit et de la Justice, faux monnayeur, persécuteur inique de ses
sujets Juifs, de ses sujets protestants, idolâtre. Une telle
engeance ne pouvait tomber que sous le jugement. Dieu ne put sans
doute trouver d’innocence qu’en Jean 1er
et Francois II n’eut guère le temps de suivre les voies
criminelles de ses pères. Louis XVI et Louis XVIII furent
certainement de bien meilleurs hommes que leurs prédécesseurs mais
la coupe d’iniquité était pleine. Quant à l’exhumation des
rois qui eut lieu en octobre 1793, ne rappelle-t-elle pas ce qui se
produisit sous le Roi Josias ? « Le
roi souilla les hauts lieux qui étaient en face de Jérusalem, sur
la droite de la montagne de perdition, et que Salomon, roi d'Israël,
avait bâtis à Astarté, l'abomination des Sidoniens, à Kemosch,
l'abomination de Moab, et à Milcom, l'abomination des fils
d'Ammon. Il brisa les statues et abattit les idoles, et il
remplit d'ossements d'hommes la place qu'elles occupaient. Il
renversa aussi l'autel qui était à Béthel, et le haut lieu
qu'avait fait Jéroboam, fils de Nebath, qui avait fait pécher
Israël; il brûla le haut lieu et le réduisit en poussière, et il
brûla l'idole. Josias, s'étant tourné et ayant vu les
sépulcres qui étaient là dans la montagne, envoya prendre les
ossements des sépulcres, et il les brûla sur l'autel et le souilla,
selon la parole de l'Éternel prononcée par l'homme de Dieu qui
avait annoncé ces choses. Il dit: Quel est ce monument que je
vois? Les gens de la ville lui répondirent: C'est le sépulcre de
l'homme de Dieu, qui est venu de Juda, et qui a crié contre l'autel
de Béthel ces choses que tu as accomplies. Et il dit:
Laissez-le; que personne ne remue ses os! On conserva ainsi ses os
avec les os du prophète qui était venu de Samarie »
(2 Rois 23:14-18).
Quoi
qu’il en soit, la manière dont fut constituée la France, par des
voies de fait, des violations répétées du Droit des gents, est
aussi éloignée de ce passage de la Torah (Deutéronome 2:4-19) que
l’ouest l’est de l’est : « Donne
cet ordre au peuple: Vous allez passer à la frontière de vos
frères, les enfants d'Ésaü, qui habitent en Séir. Ils vous
craindront; mais soyez bien sur vos gardes. Ne les attaquez pas; car
je ne vous donnerai dans leur pays pas même de quoi poser la plante
du pied: j'ai donné la montagne de Séir en propriété à Ésaü.
Vous achèterez d'eux à prix d'argent la nourriture que vous
mangerez, et vous achèterez d'eux à prix d'argent même l'eau que
vous boirez. Car l'Éternel, ton Dieu, t'a béni dans tout
le travail de tes mains, il a connu ta marche dans ce grand désert.
Voilà quarante années que l'Éternel, ton Dieu, est avec toi: tu
n'as manqué de rien. Nous passâmes à distance de nos frères,
les enfants d'Ésaü, qui habitent en Séir, et à distance du chemin
de la plaine, d'Élath et d'Etsjon Guéber, puis nous nous tournâmes,
et nous prîmes la direction du désert de Moab. L'Éternel me
dit: N'attaque pas Moab, et ne t'engage pas dans un combat avec lui;
car je ne te donnerai rien à posséder dans son pays: c'est aux
enfants de Lot que j'ai donné Ar en propriété. (Les Émim y
habitaient auparavant; c'était un peuple grand, nombreux et de haute
taille, comme les Anakim. Ils passaient aussi pour être des
Rephaïm, de même que les Anakim; mais les Moabites les appelaient
Émim. Séir était habité autrefois par les Horiens; les
enfants d'Ésaü les chassèrent, les détruisirent devant eux, et
s'établirent à leur place, comme l'a fait Israël dans le pays
qu'il possède et que l'Éternel lui a donné.) Maintenant
levez-vous, et passez le torrent de Zéred. Nous passâmes le torrent
de Zéred. Le temps que durèrent nos marches de Kadès Barnéa
au passage du torrent de Zéred fut de trente-huit ans, jusqu'à ce
que toute la génération des hommes de guerre eût disparu du milieu
du camp, comme l'Éternel le leur avait juré. La main de
l'Éternel fut aussi sur eux pour les détruire du milieu du camp,
jusqu'à ce qu'ils eussent disparu. Lorsque tous les hommes de
guerre eurent disparu par la mort du milieu du peuple, l'Éternel
me parla, et dit: Tu passeras aujourd'hui la frontière de Moab,
à Ar, et tu approcheras des enfants d'Ammon. Ne les attaque
pas, et ne t'engage pas dans un combat avec eux; car je ne te
donnerai rien à posséder dans le pays des enfants d'Ammon: c'est
aux enfants de Lot que je l'ai donné en propriété. ».
Proverbe
de Salomon : « Ne
déplace point la borne ancienne que tes pères ont posée »
(22:28).
SUITE