LES CARDINAUX ET LE SHABBAT
Parmi les diverses catégories de mots qui se retrouvent dans les langues des hommes, les cardinaux occupent une place à part.
La plupart du temps, les cardinaux remontent tous à une même terminologie numérative au sein d'une même famille de langues. Ils sont donc très anciens et stables, même s'ils sont, bien sûr, affectés par les lois phonétiques qui érodent, au cours des âges, l'ensemble des mots d'une même langue. Il arrive aussi fréquemment que les cardinaux conservent des formes casuelles anciennes, éliminées des autres catégories de mots que connaissent les langues qui ont conservées des déclinaisons. Bref, les cardinaux sont des sortes de fossiles. Ils le sont d'autant plus que, à l'origine, ils avaient une signification directement en rapport avec le nombre qu'ils désignent. Le mot devenu "trois" en français remonte à un vocable qui, dans une lointaine langue originelle, évoquait évidemment une association de trois objets. Et il en était ainsi, naturellement, de tous les cardinaux de base. Mais, comme le grand bond pour l'humanité qui a consisté à compter remonte à plusieurs millénaires, au moins six d'après l'ancienneté de l'attestation des cardinaux de certaines langues, cette association ne nous est plus perceptible. Nous en sommes réduits à des conjectures et des suppositions.
Cependant, de même qu'un fossile nous donne des renseignements sur la flore et la faune qui peuplaient la terre dans un lointain passé, les cardinaux peuvent aussi nous permettre d'entrevoir subrepticement quelques éléments du monde dans lequel vivaient les hommes qui ont inventé l'arithmétique.
Les recherches linguistiques des trois derniers siècles ont abouti à la conclusion que la plupart des langues parlées en Europe ainsi que certaines langues parlées en Asie dérivent d'une façon ou d'une autre d'une langue parlée il y a plus de 5 millénaires aux abords de la Mer noire, langue hypothétique que l'on appelle "indo-européen". De même, le déchiffrement de tablettes en alphabet cunéiforme écrites en Mésopotamie à partir du 3ème millénaire avant Jésus-Christ dans une langue que l'on appelle akkadien, atteste que les langues sémitiques telles que l'hébreu, l'araméen et l'arabe dérivent d'une langue-mère parlée et disparue elle aussi avant la période historique au Moyen-Orient.
Ces langues présentent une certaine analogie de structure avec l'égyptien ancien et le berbère, de sorte que les linguistes supposent que, plusieurs millénaires avant Jésus-Christ, les langues sémitiques et les langues chamitiques auraient pu diverger d'une langue "grand-mère" appelée de nos jours plutôt afro-asiatique que chamito-sémitique.
Plus au nord, la parenté des langues parlées sur les rives du Golfe de Finlande est évidente mais les linguistes ont montré qu'elle s'étend aussi au hongrois et à diverses langues parlées dans les plaines russes et jusqu'en Sibérie. Ces idiomes remonteraient à une langue mère appelée finno-ougrienne.
Du fait d'analogie de structures, certains linguistes avancent que cette famille de langues aurait également pour parentes éloignées les langues turques et les langues mongoles, peut-être même le coréen et le japonais. La langue ancestrale hypothétique est appelée ouralo-altaïque.
D'autres linguistes vont plus loin encore et estiment que, à un horizon remontant au moins à 8 millénaires avant Jésus-Christ, les langues indo-européennes, afro-asiatiques et ouralo-altaïques auraient eu une aïeule commune appelée "nostratique". Ils se basent sur les analogies que présenteraient certaines racines. Il est vrai que, lorsque l'on reconstruit la déclinaison et la conjugaison indo-européennes à partir de langues très archaïques comme le sanscrit védique ou le hittite, certaines désinences et terminaisons donnent l'impression d'être des mots agglutinés à la racine, comme dans les langues ouralo-altaïques. On se rend compte aussi que les voyelles de la racine sont soumises à des alternances, encore visibles dans les verbes forts des langues germaniques par exemple, qui ne sont pas sans rappeler le vocalisme des langues sémitiques.
Evidemment, si ces hypothèses linguistiques sont vraies, la situation de polyglossie du monde actuel résulte d'une évolution analogue à ce que relate le début du chapitre 11 de la Genèse.
Pour autant, s'il en est ainsi, il semble que nos aïeux qui auraient parlé cette langue originelle commune à la plupart des langues parlées en Europe, à la moitié de l'Afrique et aux deux tiers de l'Asie, s'ils avaient déjà appris à compter, utilisaient sans doute un système qui a été abandonné ensuite dans les différentes grandes langues mères ultérieures.
En effet, autant il y a, à l'intérieur de chacune des grandes familles de langues, une remarquable parenté des cardinaux fondamentaux, autant ceux-ci paraissent profondément différents d'une famille à l'autre. Tous sauf l'un d'entre eux ! Et l'analogie qui transparaît à cet égard entre les familles est troublante tant pour le linguiste ... que pour le "bibliste".
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A) Pourquoi commencer par le dernier des cardinaux fondamentaux ? Eh bien, dans les langues indo-européennes, le cardinal qui exprime le chiffre 10 est l'un des rares pour lesquels on peut tenter d'avancer une étymologie.
En latin, le cardinal qui exprime le chiffre 10 est DECem. La plupart des linguistes s'accordent à voir dans la terminaison -EM une forme d'accusatif figée. C'est plausible. A l'origine, les cardinaux ont servi vraisemblablement à dénombrer d'abord des animaux et des choses. En ce cas, les cardinaux introduisaient la plupart du temps des substantifs en position d'objet direct. Une autre possibilité serait d'y voir le reste d'un suffixe d'appartenance, le même qui a servi à former les ordinaux en latin. Le sens serait alors "qui se rapporte à "dec".
La racine du cardinal latin est donc DEC- dont l'armature consonantique peut être notée DK.
On peut se risquer à rapprocher cette racine du mot DIGitus, "le doigt". Il est possible que, à l'origine, le mot indo-européen ancêtre de "decem" ait représenté l'ensemble des doigts. Il est tentant aussi de rapprocher "decem" du verbe DICere, "dire". Peut-être que la racine signifiait originellement "indiquer", ce que l'on fait naturellement en pointant un doigt dans la direction de l'objet désigné. C'est d'ailleurs la signification du verbe allemand ZEIGen qui, selon les lois phonétiques propres aux langues germaniques, remonte à une racine consonantique TG correspondant à la racine DK de "decem".
Les descendants de "decem" sont le sarde "deghe" et l'italien "dieci". Le roumain "zece" paraît un peu plus éloigné mais à l'occlusive sonore dentale initiale du latin correspond régulièrement une fricative sonore dentale: D Z.
De "decem" sont également issus le provençal "detz", le français "dix", le catalan "deu", l'espagnol "diez" et le portugais "dez".
Le mot grec est très proche: DEKa. Les linguistes expliquent le -A final par la vocalisation d'un -M voyelle, le mot grec originel aurait donc été DEKM. On peut le rapprocher du mot "doigt": "DAKtylo".
Encore relativement proche est le mot sanscrit DAŚa. Comme dans le cas du grec, le -A final résulterait de l'évolution d'un ancien -M voyelle. Le mot indo-iranien originel aurait été DAKM. Le cardinal en persan avestique était "dasa". Le mot persan actuel (farsi) est DAH.
Le mot gaulois est connu: DECam. On le rapproche sans peine du breton et du cornique "dek" ainsi que du gallois "deg". Langue cousine, le gaélique d'Irlande a "deich".
Le mot slavon est DESęti. Le remplacement du son "K" par un "S" résulte d'une loi phonétique souvent vérifiée en slave. Le "-TI" final paraît être un suffixe.
Le polonais "dziesięć" en reste proche, de même que le russe "dyesyat'" tandis que "deset" est commun au tchèque, au bulgare et aux autres langues yougoslaves.
L'amuïssement du son "K" s'est également produit en baltique où l'on a le lituanien "dešimt" et le letton "desmit". Le "-M" reste bien apparent et on note aussi l'ajout du même suffixe qu'en slave.
L'albanais "dhjetë" présente lui aussi ce suffixe analogue à celui ajouté en slave et en baltique.
A cause de la première mutation consonantique, la ressemblance du germanique est moins manifeste. Mais, dès que l'on sait qu'à un "D" indo-européen correspond habituellement un "T" en germanique, la parenté du latin "decem" et du néerlandais "tien" devient plus apparente. Le mot gothique "taihun" montre que le "K" central est devenu une spirante, puis qu'il a disparu dans les autres langues: anglais "ten", suédois "tio", islandais "tiu", danois et norvégien "ti".
Du fait de la deuxième mutation consonantique intervenue seulement en Germanie centrale et méridionale, le "T" initial devient une affriquée "TS" dans ces régions: allemand "zehn", luxembourgeois "zéng", suisse allemand "zäh". Pour des raisons historiquement différentes, cette évolution a eu lieu aussi en frison: "tsien" (à rapprocher du néerlandais "tien").
B) Si l'on quitte l'indo-européen pour le finno-ougrien, on est frappé par le mot hongrois "tíz" qui n'a pas de parent dans les langues soeurs. En fait, il semble bien que les cardinaux de base en finno-ougrien aillent seulement de 1 à 7. Au-delà, les différentes langues ont visiblement dû innover. Dans le cas du hongrois, il est possible que "tíz" soit un emprunt déformé au slave.
Le mot finnois est "kymmenen". Il est commun à toutes les langues soeurs autour du Golfe de Finlande: l'estonien "kümme", le live "kim", le vepse "kümne", l'ingrien "kümmenän".
Manifestement, le mot correspondant dans les langues turques "on", n'est apparenté ni au finnois, ni à l'ougrien.
C) En ce qui concerne le sémitique, l'akkadien EŠER nous livre l'un des noms de cardinaux les plus antiquement attestés. On le rapprochera de l'arabe "εašara", du maltais "għaxra", de l'hébreu "εeser", de l'araméen "εasra" et du syriaque "εešra".
Le berbère a beaucoup emprunté au sémitique. C'est ainsi que le kabyle "εecra" vient certainement de l'arabe. Mais des langues plus archaïsantes ont des mots tout à fait différents comme le tamazeq (touareg)"meraw" ou le guanche (langue berbère jadis parlée dans les îles Canaries) "marava". Le copte issu de l'égyptien ancien avait "met" qui provient d'une autre racine.
9
A) En latin, le chiffre 9 est NOVem. On reconnaît la terminaison déjà rencontrée avec "decem". L'armature consonantique peut être notée NW. Il est tentant de rapprocher ce mot de la racine de l'adjectif "novus", "nouveau" mais comme il est difficile de forger une explication étymologique, l'analogie est peut-être fortuite. Un linguiste, J.S. SHELDON a toutefois suggéré dans un article intitulé "Proto-Indo-European Arithmetic"que, à l'origine, le système de numération aurait pu être basé sur tous les doigts sauf les pouces, moyennant quoi, lors du passage au décompte décimal, il aurait fallu employer un nouveau mot pour le cardinal suivant 8.
De "novem" descendent l'italien, le portugais et le sarde "nove", le provençal et le catalan "nou", le roumain "nouă", l'espagnol "nueve" et le français "neuf".
Le mot grec est ENNEa. Sa parenté avec le latin devient plus évidente lorsque l'on considère l'un des rares mots grecs mycéniens qui nous soient connus par des documents remontant au deuxième millénaire avant Jésus-Christ: ENNEWO. Il est clair que la sonante "W" a disparu ultérieurement du grec.
Le sanscrit NAVa pourrait remonter à un ancien NAVM avec vocalisation du - M final. Le mot avestique identique "nava" est devenu en farsi contemporain "noh".
Le celtique est proche de ces langues avec le breton "nav" ainsi que le cornique et le gallois "naw", sans oublier le gaélique d'Irlande "naoi".
Le slave fait un peu difficulté. Soit il utilise un mot différent des autres langues indo-européennes, soit une allitération avec le cardinal 10 a entraîné la substitution d'un "D" au "N" initial attendu.
Au slavon DEVęti correspondent le polonais "dziewięć", le russe "dyevyat'" et "devet" commun au tchèque, au bulgare et aux autres langues yougoslaves. On peut aussi y rattacher le lituanien "devyni" et le letton "deviņi", qui utilisent la même racine modifiée mais pas le suffixe -TI.
Visiblement, l'albanais "nëntë" recourt audit suffixe mais la racine reste celle employée par le latin et le grec. L'analogie apparente avec un mot lycien qui a pu signifier 9, "nuntata", est intéressante. La mystérieuse langue albanaise pourrait avoir eu des connexions lointaines avec des langues anatoliennes.
Le germanique n'est pas très éloigné des langues antiques. Le -M final s'est régulièrement amuï en -N. On le trouvait dans le gothique "niun". Il subsiste dans l'allemand "neun" et dans l'anglais "nine". Elle est mouillée dans le francique luxembourgeois "néng". La présence d'une gutturale médiane dans le néerlandais "negen" et dans le frison "njoggen" paraît être un substitut à la sonante originelle "W". Enfin, les langues nordiques ont éliminé la nasale finale: suédois "nio", islandais "níu", danois et norvégien "ni".
B) Le mot hongrois "kilenc" n'est pas un emprunt aux langues indo-européennes. Il n'est pas non plus apparenté aux cardinaux des langues fenniques qui semblent avoir signifié à l'origine "un de moins", c'est à dire "un ôté de dix": finnois "yhdeksän", ingrien "üheksän", vepse "ühesa", estonien "üheksa".
Le mot turc "dokuz" ne présente aucune sorte de parenté avec les mots finno-ougriens équivalents.
C) En akkadien, 9 se disait TIŠE. Ses équivalents arabe: "tisεa", maltais "disgħa", hébreu "teša", araméen "tešεa" et syriaque "εiča" sont restés proches.
Le kabyle "tesεa" est emprunté au sémitique comme sans doute aussi le mot tamazeq "tezih". Le guanche utilisait une formulation qui rappelle le finnois, "aldamarava".
Enfin, le copte "psis" n'a aucune parenté avec l'un de ces mots.
8
A) 8 se disait en latin OCTo. La terminaison -O intrigue en ce qu'elle s'intercale entre 3 cardinaux qui se terminent en -M. Le linguiste J. S. SHELDON suggère d'y voir un duel en ce sens que "octo" désignerait un deuxième groupe de quatre doigts dans un système de numération qui aurait été originellement basé sur des comptes de quatre en quatre. En fait, il est aussi possible que les phalanges des quatre doigts aient servi de table de 12 et que les 8 doigts aient donc valu 24. En ce cas, "octo" aurait peut-être voulu dire deux tables digitales de calcul.
Une
autre possibilité serait d'y voir la contraction du suffixe -AV qui sert
à former l'ordinal. Le sens aurait été "ce qui se rapporte à oct".
L'armature consonantique de ce mot peut être notée KT.
Octo est devenu en italien et en sarde "otto", "oito" en portugais", "ocho" en espagnol et "opt" en roumain. La distance s'est creusée avec le français "huit" (où le "h" n'est pas étymologique), le catalan "vuit" et plus encore avec le provençal "vuech".
Le mot grec est OKTo.
Le sanscrit AŞŢau s'explique par le vocalisme propre à cette langue où le "O" bref indo-européen est régulièrement remplacé par un "A". De même les occlusives vélaires indo-européennes sont souvent devenues des affriquées ou des spirantes, ce qui explique le "Ş" à la place du "K".
Le persan avestique, très proche, était "asta", devenu "hašt" en farsi.
L'occlusive vélaire est devenue une fricative en celtique goïdélique, d'où l'irlandais "ocht". Elle a, en revanche, disparu en brittonique: gallois "wyth", cornique "eth", breton "eizh".
Le slavon OSmi s'explique, comme en indo-iranien, par la mutation du "K", la dentale ayant disparu. La terminaison en -M s'explique par l'analogie avec les autres cardinaux de valeur voisine. Les différentes langues slaves modernes sont proches: polonais "osiem", russe "vosyem'", ukrainien "visim", tchèque "osm", bulgare, slovaque et slovène "osem", serbo-croate "osam".
Les langues baltes sont plus proches encore de l'indo-iranien: lituanien "aštuoni", letton "astoni". Comme en slave, la terminaison en -N s'explique par l'analogie avec d'autres cardinaux.
L'albanais tetë paraît n'avoir conservé que la fin de la racine à laquelle l'analogie a ajouté la terminaison -të figurant uniformément après tous les cardinaux à partir de 6. A nouveau, on relèvera un troublant air de famille avec le lycien "aitata".
Le germanique reste encore assez proche du mot originel. Dans les langues nordiques, le "K" s'est assimilé à la dentale qui le suit: suédois "åtta", norvégien "åtte", danois "otte", islandais "átta".
Ailleurs, l'occlusive vélaire est devenue fricative: gothique "ahtau", frison, allemand et néerlandais "acht". La voyelle s'allonge en francique luxembourgeois "aacht". Elle n'est plus prononcée dans l'anglais "eight".
B) Le mot hongrois "nyolc" n'a pas non plus été emprunté à des langues indo-européennes. Il semble être ougrien si on le rapproche du vogoul "nyololov".
En revanche, comme dans le cas de 9, les langues fenniques utilisent un mot qui a dû signifier "deux de moins" que 10: finnois "kahdeksan", ingrien "kaheksan", vepse "kahesa", estonien "kaheksa". Les ancêtres de ces peuples ont probablement dû compter, à l'origine, selon une base 7.
Le mot turc "sekiz" est tout à fait étranger à ses équivalents finno-ougriens.
C) En akkadien, le mot 8 se disait SAMANE. La parenté avec l'arabe "θamaniyah", le maltais "tmienja", l'hébreu "šmone", l'araméen "tmonya" et le syriaque "tmania" ne se dément pas.
Le kabyle a emprunté à l'arabe: "tmanya" mais les cardinaux d'autres langues berbères dérivent de la même racine: tamazeq "taman", guanche "tamatti". Même le copte "šmoun" pourrait y être apparenté.
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A) S'agissant du premier cardinal, la situation est hétérogène parmi les langues indo-européennes. C'est sans doute que, à l'origine, on ne ressentait la nécessité de compter qu'en présence de plusieurs animaux ou objets. De ce fait, l'introduction de 1 dans la numération a dû être tardive, ce qui explique qu'elle a fait appel à des mots différents d'une branche de langues à l'autre.
Le latin UNus vient d'un adjectif qui signifiait "unique, seul". Son proche parent osque UINus permet de supposer une armature consonantique WN.
Le grec moderne ENas est dérivé du cardinal 11. En grec ancien, on recourait au mot "heis" dont le féminin "mia" trahit qu'il s'agissait de la survivance d'un terme que l'évolution phonétique du grec avait rendu méconnaissable. Le grec mycénien "eme" (en fait sans doute "heme"), fait supposer un ancien adjectif "sems", de féminin "smia", dont la racine pourrait se retrouver dans la première syllabe de mots latins tels que "simplex" ou "singulus" ou encore dans l'anglais "some" ou le nordique "som". Mais la face d'un dé représentant le nombre 1 s'appelait "OINE" dans la Grèce antique, ce qui est remarquablement proche du cardinal osque.
Le sanscrit EKa rappelle l'anglais "each", chaque. L'avestique utilisait le mot très différent "aevas" qui pourrait être apparenté à l'adjectif grec "oios" lequel signifiait "unique". En farsi, 1 se dit "yak", mot manifestement apparenté au cardinal correspondant du sanscrit.
En revanche, le celtique était proche du latin comme le montrent l'irlandais "aon", le breton "unan", le cornique "onan" et le gallois "un".
Le slavon "jedinu" dérive d'une racine contenue dans des mots signifiant "chaque" dans les langues germaniques continentales, par exemple l'allemand "jeder". Mais c'est dans le mot qui signifie "il/elle" dans presque toutes les langues slaves sauf le bulgare que l'on retrouve la racine employée en latin: ON. On relèvera aussi que le slovène, souvent archaïsant, a pour premier cardinal ENa.
A la différence des langues slaves, les langues baltes utilisent clairement l'armature consonantique WN apparente en osque: lituanien "vienas" et letton "viens".
L'albanais "një" dérive sans doute du même mot que celui qui est devenu "mia" en grec.
Enfin, le germanique est proche de l'italique et du celtique mais il a dû perdre de bonne heure le "W" initial: allemand "eins", luxembourgeois "eent", néerlandais "een", langues nordiques "en" et "einn" islandais, frison "ien". Curieusement, l'anglais "one" a fini par rétablir la sonante initiale disparue.
B) Le mot hongrois "egy" comporte une dentale mouillée que l'orthographe traditionnelle occulte. En apparence, le cardinal des langues fenniques est différent: finnois "yksi", ingrien et estonien "üks", vepse "üs'". Toutefois, les formes fléchies font réapparaître un "D", comme le génitif finnois "yhden". Il est donc possible que le cardinal repose sur une même lointaine racine commune en hongrois et dans les langues fenniques.
En revanche, le mot turc "bir" ne leur est manifestement pas apparenté.
C) L'akkadien IŠTENE n'utilise pas la même racine que les langues sémitiques plus récentes. L'arabe "waħid" et le maltais "wieħed" présentent une sonante initiale disparue de l'hébreu "aħat", de l'araméen "aħad" et du syriaque "ħa".
Le kabyle "yiwen" dérive d'une racine différente commune avec le tamazeq "iyen" mais distincte du guanche "nait". Sauf à se rattacher à la syllabe initiale de l'arabe, le copte "wa" représente sans doute encore une autre racine.
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A) La situation est beaucoup plus homogène avec le second cardinal. Il est en latin DUo dont l'armature consonantique est DW. Le cardinal est attesté dans d'autres langues italiques antiques: osque "dus" et ombrien "tuf". Dans les langues romanes, le sarde est proche de l'original dont il garde intacte la forme à l'accusatif masculin "duos". L'espagnol, le catalan et le provençal en sont encore assez proches: "dos", tandis que l'italien dérive plutôt du nominatif: "due". Le portugais "dois" et le roumain "doi" se sont davantage éloignés et plus encore le français "deux".
Le grec DYo est très proche du cardinal latin.
Le sanscrit DVa montre bien l'armature consonantique "DW". La consonne initiale de l'avestique "bae" s'explique par la fusion de l'occlusive dentale "d" et de la sonante labiale "v" en une occlusive labiale. Le mot farsi "do" découle d'un dialecte persan qui était resté plus proche du sanscrit que l'avestique.
Le slave est très proche du sanscrit: polonais "dwa", autres langues "dva".
Les langues baltes divergent quelque peu entre elles: lituanien "du", letton "divi". L'albanais "dy" est assez similaire au lituanien tout en rappelant le vocalisme du grec ancien. Le cardinal lycien paraît avoir été "tuwa".
Le celtique est resté proche du mot indo-européen originel: breton "daou", cornique "dew", gallois "dau", irlandais "dó".
Une fois de plus, la parenté du germanique est obscurcie par la première mutation consonantique qui a transformé le "D" initial en "T". Ceci pris en compte, les cardinaux germaniques restent proches de leurs cousins indo-européens: anglais "two", néerlandais "twee", frison "twa", suédois "två", islandais "tveir", danois et norvégien "to". La seconde mutation consonantique a éloigné un peu plus l'allemand: "zwei" (et "zwo") et le francique luxembourgeois "zwéi/zwou".
B) Le hongrois "kettö" présente un suffixe "-tö" de même que les langues fenniques (finnois "kaksi", ingrien et estonien "kaks", vepse "kaks'") un suffixe "-ksi". Une fois ces suffixes ôtés, les racines ougriennes et fenniques paraissent d'autant plus proches que, à des formes fléchies, une dentale réapparaît en fennique (par exemple, génitif finnois "kahden").
Une parenté avec le turc "iki" paraît peu vraisemblable.
C) La racine du terme akkadien ŠENA transparaît encore quelque peu dans l'arabe "iθnan" et dans le maltais "tnejn". En revanche, ce n'est pas le cas de l'hébreu "štayi" (mais bien de son féminin), ni de l'araméen "itr" et du syriaque "trae".
Le kabyle "sin" est visiblement parent du tamazeq "senat". Le guanche "smetti" leur est vraisemblablement apparenté, ce qui devient assez convainquant quand on retire le suffixe "-tti" qui est apposé à tous ses numéraux. Le copte "šešnawna" semble très différent mais il proviendrait de l'évolution d'un mot égyptien antique commençant par "sin-", ce qui rend la parenté avec le berbère plausible.
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A) Le troisième cardinal est également un mot dont l'origine commune en indo-européen ne fait pas difficulté. Le latin TRes repose sur une armature consonantique TR héritée de la langue mère. L'osque "tris" était très voisin du latin. "Tres" s'est conservé en portugais, en espagnol, en catalan et en provençal. L'italien l'a simplifié en "tre". Le roumain "trei" et surtout le français "trois" s'en sont davantage éloignés.
Le grec TRies, le sanscrit TRayas et l'avestique THRaya sont d'évidents parents du cardinal latin. En revanche, le "se" du farsi et du tadjik ne paraît pas d'origine indo-européenne.
Le slavon TRije est, quant à lui, bien de la famille. 3 se dit "tri" dans toutes les langues slaves, le polonais "trzy" et le tchèque "tři" n'en étant que des variantes caractérisées par la forte mouillure du "R".
Toujours plus conservatrices, les langues baltes conservent la désinence originelle: lituanien "trys" et letton "tris".
L'albanais "tre" n'appelle pas de commentaire. Le cardinal lycien paraît avoir été "tri", de même que la racine hittite correspondante (les tablettes cunéiformes hittites ne notaient pas les désinences).
Le cardinal gaulois TReis nous est connu. 3 se dit "tri" dans toutes les langues celtes contemporaines.
La parenté des langues nordiques est évidente: "tre" auquel on ajoutera le frison "trije". Toutefois, la première mutation consonantique a affecté l'islandais "þrír" ainsi que l'anglais "three". Dans le germanique continental, la dentale initiale est devenue sonore: néerlandais "drie", allemand "drei", francique luxembourgeois "dräi".
B) Le hongrois "három" gagne à être rapproché du vogoul "xurum" (le "x" notant la fricative vélaire sourde de l'espagnol "Juan"). On voit ainsi l'évidente parenté avec le finnois et l'ingrien "kolme", le vepse "koume" et l'estonien "kolm". Le mot originel avait probablement l'armature consonantique KLM gardée par les langues fenniques.
En revanche, on ne voit guère de similitude avec le turc "üç".
C) Le mot akkadien ŠALAŠ est remarquablement similaire à l'hébreu "šaloš". On perçoit cependant la même racine dans l'arabe "θalaθah", le maltais "tlieta", l'araméen "tlota" et le syriaque "tlaθa".
Le kabyle "tlata" est un évident emprunt au sémitique. Les autres langues chamitiques ne paraissent rien avoir en commun: tamazeq "karadh", guanche "amelotti", copte: "šomenti".
4
A) 4 se disait en latin QUATTUOR. L'armature consonantique était KwTWR. En osque, la labio-vélaire initiale s'est simplifiée en une occlusive labiale: "petora". Cela s'est produit dans un très grand nombre de langues, comme on le verra, notamment en roumain "patru" et en sarde "battor". Quattuor se retrouve à peu de choses près dans l'italien "quattro", l'espagnol "cuatro" et le portugais "quatro". Le cardinal a été simplifié davantage en catalan, en provençal et en français: "quatre".
Des inscriptions mycéniennes permettent de supposer que 4 se disait probablement "qwetor" ou "qwetro" dans la Crête archaïque. Par la suite, le grec a éliminé la labio-vélaire à laquelle il a substitué non pas une occlusive labiale mais une occlusive dentale, ce qui est étonnant: "tettares". En démotique, ce mot est devenu "tessera".
Le lycien paraît avoir emprunté au grec: "teteri". La racine hittite, énigmatiquement, paraît avoir été très différente: "meyu-". D'où pouvait provenir ce mot et pourquoi le hittite n'avait pas le même terme que les autres langues indo-européennes ? "KwTWR" est-il un cardinal récent, postérieur à la séparation entre le hittite et l'indo-européen commun ?
L'indo-iranien a éliminé précocement la labiale, ne gardant qu'une occlusive vélaire qui, par la suite est devenu une affriquée. C'est ainsi que s'expliquent le sanscrit "CATVARas" et l'avestique"ČATHWARo". Le farsi "čahar" et le tadjik "čor" en découlent.
Les langues baltes ont suivi une évolution comparable: au archaïsant lituanien "KETURi" correspond le letton "ČETRi".
Le slave est très proche. A partir du slavon "ČETYRe", on retrouve presque à l'identique le russe "četyre", l'ukrainien "čotyry", le bulgare et le serbo-croate "četiri". Sous l'effet de l'accentuation sur la voyelle pénultième, le polonais "cztery" et le tchèque "čtiři" sont devenus des dissyllabes tandis que l'affriquée s'est amuïe en simple chuintante en slovaque: "štyri" et en slovène "štiri".
L'albanais a subi une évolution comparable au lituanien: "KATËR".
La situation en celtique est plus compliquée. Comme le lituanien, le gaélique a éliminé l'élément labial et gardé l'élément occlusif vélaire: irlandais "ceathair". Par contre, le groupe brittonique a fusionné la labio-vélaire en une occlusive labiale: gallois "pedwar", cornique "peswar", breton "pevar".
La situation du germanique doit s'expliquer à partir du celtique brittonique. En effet, la première mutation consonantique a transformé les "P" en "F" comme le montre le rapprochement entre le mot latin "pater" et le mot anglais "father". C'est ainsi que, à partir du gothique "FIDWOR" (comparer avec le gallois "pedwar"), on comprend que les autres langues germaniques ont perdu la dentale médiane: suédois "fyra", danois et norvégien "fire", anglais "four", allemand et néerlandais "vier", francique luxembourgeois "véier". Le frison est un peu plus archaïque "fjouwer". On notera aussi l'islandais "fjórir" qui en est proche.
Le linguiste J.S. SHELDON avance que le mot signifiant 4 en indo-européen pourrait commencer par la particule copulative ("-que" en latin comme dans "patres filiosque", les pères et les fils). Il suppose que, à l'origine, on avait peut-être eu l'habitude de compter par paires: deux et trois, quatre et cinq (duwo treyesqwe, twores penqwe ...). Mais, au fil du temps, cette habitude initiale ne s'est plus maintenue et la particule n'a plus été comprise comme un élément copulatif. Elle a été détachée à tort du mot trois et raccordée au mot quatre qui suivait. Cette hypothèse est argumentée par le fait que l'ordinal "quatrième" connaît une forme "turiya" en sanscrit à côté de "caturtha" et que turiya est le seul ordinal connu en avestique. Or, "-ca" est la particule copulative en sanscrit qui résulte de l'évolution dans cette langue du "qwe" indo-européen. Il cite aussi des mots grecs qui comportent le cardinal 4 préfixé mais sans la syllabe initiale. Le mot "trapeza", "table", étaie la conviction car il s'agit visiblement d'un mot qui signifie "quatre pieds".
B) Le hongrois "négy" se termine par une dentale mouillée. Le vogoul "nila" et le mordve "nile" se terminent par une liquide. Mais le komi a une liquide mouillée "nyol'". Il est donc possible que le hongrois vienne de "nél'"*. En ce cas, la parenté avec les langues fenniques devient manifeste: finnois et ingrien "neljä, vepse "nel'", estonien "neli".
En revanche, aucune sorte d'analogie avec le turc "dört".
C) Le cardinal akkadien ERBE est évidemment apparenté à l'hébreu "εarba", au maltais "erbgħa", à l'arabe "εarba'ah", à l'araméen "arpa" et au syriaque "arb'a".
Le kabyle est emprunté au sémitique "rebεa". La parenté des termes des autres langues chamitiques n'est pas évidente: tamazeq "kuz", guanche "acodatti". Si l'on retire le suffixe-tti, il reste une racine "acoda" qui pourrait dériver d'un "akuda"* hypothétique auquel on pourrait alors rattacher aussi "kuz". Le copte "ftow" relève en tout cas manifestement d'une terminologie numérale distincte.
5
A) Le cardinal latin était QUINQUE. Plus encore que dans le cas de la première syllabe de "quattuor", on est frappé par l'analogie de la deuxième syllabe avec la particule copulative. L'armature consonantique était KwNKw.
L'osque paraît avoir été "pompe" et l'ombrien "pumpe". Il est manifeste que la labiovélaire du latin a été fusionnée en une simple labiale sourde aux deux syllabes.
En règle générale, les langues romanes ne présentent aucune trace de l'élément labial à l'initiale, ce qui permet de supposer que le cardinal s'est précocement prononcé "kinqwe" dans la Rome antique. C'est ainsi que le sarde "chimbe" n'a fusionné la labio-vélaire qu'en finale. Si elle avait subsisté à l'initiale, on se serait attendu plutôt à "bimbe". A cet égard, c'est l'italien "cinque" qui reste le plus proche du latin. Les autres langues romanes ont perdu également la labio-vélaire finale: portugais et espagnol "cinco", catalan et provençal "cinc" (et français écrit "cinq"), roumain "cinci".
Le celtique, à nouveau, se présente de façon hétérogène. La branche goidélique se montre sous un jour analogue au latin. En effet, le vieil irlandais "cóic" devenu aujourd'hui "cúig" se caractérise par un élément occlusif vélaire dans chaque syllabe. Par contre, le brittonique n'a que des occlusives labiales, comme l'osque et l'ombrien: breton "pemp", cornique "pymp", gallois "pump". Comme la particule copulative est attestée sous la forme "-pe" en gaulois, on peut supposer que la forme brittonique du cardinal résulte de la mutation uniforme des labiovélaires "Kw" en "P". Mais certains linguistes prétendent que la première syllabe comportait une labiale en indo-européen et que la labiovélaire initiale du latin (et du goïdélique) serait une innovation due à l'analogie avec la syllabe finale.
Dans un cas comme dans l'autre, le cardinal germanique se comprend mieux à partir du celtique brittonique. Si l'on part du cornique "pymp" et que l'on se souvient que la première mutation consonantique germanique substitue le plus souvent "F" à "P", on ne s'étonne pas du gothique "fimf", de l'allemand "fünf" et du francique luxembourgeois "fënnef". Les langues nordiques ont perdu la labiale finale: danois, norvégien, suédois "fem", islandais "fimm". Les langues westiques autres que l'allemand ont perdu la nasale: néerlandais "vijf", frison "fiif", anglais "five".
En grec, la particule copulative était devenue "-TE". Le fait que le cardinal 5 se disait "pente" tend à accréditer le fait que la seconde syllabe est bien ladite particule. Le fait se vérifie également en sanscrit où la particule était "-CA". Or le cardinal 5 se disait "pañca", tant en sanscrit qu'en avestique. Le mot farsi actuel "panj" en reste proche.
Le slave dériverait plutôt du grec. Le slavon "PĘTI", avec sa voyelle nasale, démontre que le polonais "pięć" est très conservateur. Toutes les langues yougoslaves et le tchèque ont simplifié le cardinal en "pet" (avec voyelle plus ouverte dans le slovaque "pät". Les langues slaves orientales se caractérisent par la mouillure des consonnes: russe et ukrainien "pyat").
Le balte rappelle davantage le sanscrit en ce que l'élément labial de la consonne de la deuxième syllabe a disparu, ne laissant subsister qu'une vélaire: lituanien "penki" (amuï en "pieci" en letton).
Il est plus difficile d'entrevoir comment l'albanais a abouti à "pesë", forme très érodée du cardinal indo-européen original.
Si la deuxième syllabe du cardinal indo-européen est bien la particule copulative, que voulait dire la première syllabe ? Eh bien, il me semble défendable de supposer que nous sommes en présence d'un mot qui, à l'origine, voulait dire "main". Il est très vraisemblable que, comme les enfants, les anciens locuteurs de l'indo-européen originel se soient aidés de leurs doigts pour compter. Lorsqu'ils arrivaient à cinq, ils avaient utilisé tous les doigts d'une main, de sorte que "penkwe" pourrait avoir signifié "et la main". En ce cas, la syllabe "pen" initiale pourrait être rapprochée de la racine de termes signifiant "saisir", "attraper", "fixer", "mettre" tels que le latin "pangere" et l'allemand "fangen" (cf. aussi "finger", le doigt, c'est à dire "ce qui saisit"). Par la suite, le mot aurait été tellement associé au chiffre 5, que les différentes branches issues de l'indo-européen ont utilisé des racines différentes pour désigner la main, ce qui expliquerait la surprenante hétérogénéité de ce mot entre les différentes branches de langues indo-européennes.
B) Le cardinal hongrois "öt" est proche de son équivalent vogoul "at". Toutefois, plusieurs langues apparentées, tout en présentant une finale en dentale, commencent par un "v-" qui a pu disparaître en hongrois: komi "vit", votyak "vit'". On voit alors nettement l'identité avec les langues fenniques: finnois "viisi", ingrien "viz", estonien 'viis" où une dentale réapparaît dans certaines formes fléchies (finnois "viiden).
Par exception, le turc "bes" est peut-être apparenté au mot finno-ougrien. Il faudrait supposer un lien entre la fricative labiale fennique et l'occlusive labiale turque ainsi qu'un amuïssement de l'occlusive dentale finale conservée en ougrien. C'est possible mais pas nécessairement probable.
C) Le cardinal akkadien "ĦAMIŠ" est proche cousin du cardinal 5 dans les principales langues sémitiques. hébreu "ħameš", araméen et syriaque "ħamša", arabe "ħamsah", maltais "ħamsah". Le kabyle "xemsa" est emprunté au sémitique. Toutefois, le tamazeq "sammus" et le guanche "SIMUSetti" permettent de penser que le cardinal berbère a une origine commune avec le cardinal sémitique, la gutturale de ce dernier ayant été remplacée par une dentale spirante. En revanche, le copte "tiw" relève manifestement d'une terminologie distincte.
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A) Le cardinal est en latin "SEX". Le sarde "ses" garde la voyelle originelle, laquelle s'est fermée en catalan "sis" et en français "six". D'autres langues romanes ont développé une diphtongue: provençal "sieis", espagnol et portugais "seis". En roumain, l'initiale est devenue chuintante: "șase" tandis que l'italien a perdu la consonne finale "sei".
Le germanique est proche de l'italique. Les langues scandinaves ont le même mot que le latin écrit "sex" en suédois et en islandais, "seks" en danois et en norvégien. La voyelle s'est fermée en anglais "six" tandis que la sifflante initiale est voisée en allemand et en francique "sechs". L'élément occlusif vélaire a disparu du néerlandais "zes" et du frison "seis". Le gothique en avait fait une fricative: "saihs".
Le baltique semble avoir seulement simplifié la finale: lituanien "šeši" et letton "seši".
Le slave paraît avoir ajouté un suffixe "-TI" par analogie avec le cardinal 5 dans cette branche de langues: slavon "ŠESti", russe et slovaque "šest'" tandis que le tchèque et les langues yougoslaves ont "šest" sans mouillure en finale. Le polonais l'a, au contraire, accentuée "sześć".
L'albanais "gjashtë" comporte le même suffixe. La consonne initiale est sans doute un renforcement d'une chuintante originelle.
Le grec ancien "HEX" semble, de prime abord, avoir remplacé la sifflante intiale par une aspiration. Cependant, comme on trouve "WE-" sur des tablettes mycéniennes, il est possible que le mot grec initial ait été "wex*", version simplifiée d'une forme originelle"swex*".
En gaulois, le cardinal paraît avoir été "suex". L'irlandais l'a réduit en "sé". Par contre, les langues brittoniques pourraient conserver la trace d'une forme plus archaïque que dans la plupart des autres branches: le gallois "chwech", le breton "c'hwec'h" et le cornique "hwegh" renvoient à un ancêtre commun qui commençait par une occlusive vélaire. La trame consonantique paraît avoir été KWK, ce qui surprend.
Or, la présence de l'occlusive vélaire paraît confirmée par l'avestique "xšvaš", tandis que le sanscrit présente une forme déjà aussi simplifiée que le lituanien "șaș". C'est très étrange. Cette occlusive vélaire qui n'apparaît qu'en brittonique et en avestique serait-elle une trace d'un proclitique accolé ? J.S. SHELDON croit y voir à nouveau un reste de la particule copulative.
L'armature consonantique indo-européenne aurait donc été "SWK" ou "KSWK", le "s" final étant probablement une marque de pluriel.
B) Au hongrois "hat" correspond le vogoul "xot". On peut donc supposer que le cardinal finno-ougrien ancestral commençait par une occlusive vélaire qui s'est amuïe en ougrien. En effet, le mordve à "koto" et le votyak "kuat'". Ces langues permettent donc de faire le pont avec le finnois "kuusi", l'ingrien "kuz", le vepse "kuz'" et l'estonien "kuus". La dentale réapparaît dans des formes fléchies (finnois kuuden). Si l'indo-européen avait une occlusive vélaire à l'initiale, alors on pourrait entrevoir une brumeuse parenté avec le cardinal finno-ougrien.
En revanche, le turc "alti" n'y est pas du tout apparenté.
C) L'akkadien "ŠIŠu" est remarquablement proche de l'hébreu "šeš". En revanche, les autres langues sémitiques ont en deuxième syllabe une occlusive dentale: arabe "sittah", maltais "sitta", araméen "šetta", syriaque "išta". Le kabyle y est emprunté: "setta". Toutefois, le tamazeq "sadis" et le guanche "SESetti" en sont aussi proches. Il est possible qu'un cardinal afro-asiatique originel ait eu l'armature consonantique STS. Il est par contre peu vraisemblable que le copte "sow" en dérive.
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A) Le cardinal est en latin "SEPTem". L'armature consonantique est SPT.
C'est en roumain qu'il s'est le mieux conservé "șapte". L'italien et le sarde ont "sette", le portugais "sete". La voyelle tonique est diphtonguée en espagnol "siete" tandis que la voyelle finale tombe en catalan et en provençal "set" ainsi qu'en français "sept".
Les langues baltiques ont bien conservé la racine originelle: lituanien "septynì", letton "septini". Elles y ont ajouté un même suffixe que comportent aussi les cardinaux suivants.
La voyelle finale du sanscrit "SAPTa" représente la vocalisation du "M" de la terminaison. En avestique, la sifflante initiale a été remplacée par une aspiration: "hapta". De là dérive le farsi actuel "haft".
Le grec antique "HEPTa" était très proche de l'avestique avec lequel il partageait la disparition du "S" initial.
Le germanique a perdu la dentale "T" qui était peut-être à l'origine un suffixe. Le gothique "sibun" et l'allemand "sieben" présentent une sonorisation de l'occlusive labiale, attendue conformément à la mutation consonantique germanique, tandis que la nasale finale s'est amuïe en "N". La labiale est devenue spirante en néerlandais "zeven", en francique "siewen", en anglais "seven" et en danois "syv", tandis qu'elle a disparu dans les autres langues: norvégien et suédois "sju", islandais "sjö", frison "sân".
En slave, c'est au contraire la labiale qui a disparu tandis que la dentale s'est le plus souvent maintenue mais voisée: slavon "SEDMi", slovaque, bugare et slovène "sedem", tchèque "sedm", polonais "siedem", croate "sedam". Le russe "sem'" et l'ukrainien "sim" n'ont gardé que la nasale finale.
Le celtique a suivi une évolution comparable. La labiale est devenue une spirante vélaire en gaulois "sextan". On la trouve encore en irlandais "seacht". Par contre, elle s'est amuïe dans les langues brittoniques où elle a entraîné la diphtongaison de la voyelle tonique: gallois "saith", cornique "seyth", breton "seizh".
L'albanais n'en conserve qu'une forme très corrompue "shtatë" à laquelle l'analogie a ajouté le suffixe "-të" commun à tous les cardinaux à partir de 6.
On notera aussi le mot hittite "ŠIPTa-" dont la terminaison exacte n'est pas connue.
B) Le hongrois "hét" est à rapprocher du vogoul "sat" qui permet de supposer que, comme dans le cas du grec et de l'avestique, l'aspiration représente l'amuïssement d'une ancienne sifflante. On remarquera que le cardinal ougrien a un air de famille avec l'indo-européen. Cette impression est renforcée par le mordve "sisem" et le votyak "siz'im" où la sifflante médiane pourrait résulter de l'évolution d'une occlusive dentale. Rapproché de ces langues, le finnois "seitsemän", que les langues soeurs ont simplifié en "seitsen" (ingrien) ou "seitse" (estonien), paraît très conservateur et permet d'entrevoir un cardinal finno-ougrien originel dont l'armature consonantique aurait pu être "ST(s)M". Dès lors, on ne peut être que frappé par l'analogie avec l'indo-européen.
Le turc "yedi" nous réserve une surprise car, à la lumière de ses langues soeurs l'ouzbek "yetti", le kazakh "žetti" et surtout le yakoute "sette", analogue à l'italien (!), il paraît pouvoir être relié, pour la première fois, tant au finno-ougrien qu'à l'indo-européen.
C) Le cardinal akkadien était "SEBe". La parenté de l'hébreu "šebaε", de l'araméen "šubεa", du syriaque "šawεa", de l'arabe "sabεah" et du maltais "sebgħa" est évidente. L'armature consonantique comporte une sifflante, une occlusive labiale et une laryngale qui, mise à part cette dernière, présente aussi une concordance forte avec l'indo-européen, d'où les laryngales ont été éliminées précocement, et avec l'ouralo-altaïque.
Si le kabyle emprunte "sebεa" à l'arabe, le tamazeq "sah" et le guanche "SAtti" désignent le cardinal 7 par des mots proches de ceux que l'on rencontre dans des langues indo-européennes et ouralo-altaïques. On notera que le copte "sašef" commence par la même syllabe et que l'armature consonantique du cardinal en égyptien pharaonique était SFĦW. La concordance avec le sémitique est frappante.
A ce point du développement, on risquera la conclusion suivante: Tandis que la terminologie numérative des langues indo-européennes, finno-ougriennes, turques, sémitiques et, dans une moindre mesure, chamitiques remonte à un système originel commun à l'intérieur de chaque famille, ces systèmes sont le plus souvent très différents d'une famille à l'autre sauf dans le cas du cardinal 7 où la convergence n'en est que plus remarquable.
Que peut-on dire à cet égard ?
Tout d'abord, pour qu'il y ait eu une convergence, il faut que les peuples qui avaient parlé les différentes langues originelles dont sont issues les familles de langues passées en revue aient considéré qu'il y avait quelque chose de spécial avec le chiffre 7.
A partir de cette prémisse, on peut avancer deux hypothèses. La première est celle de l'emprunt. L'un des peuples originels avait accordé une place si particulière au nombre 7 dans sa culture ou son organisation sociale que les autres, par attrait ou par quelque autre forme de fascination, en avaient repris des éléments et le terme qui le désignait.
La seconde est que la position spéciale du chiffre 7 serait un legs commun à la quasi totalité des peuples d'Europe, d'Afrique du nord et du Moyen-Orient.
De quoi pourrait-il s'agir ? Je pense au repos du septième jour de la semaine, le Shabbat honoré par Israël. Il y a d'ailleurs un précédent beaucoup plus récent dans l'histoire des langues. En effet, le mot qui désigne le "samedi" est dérivé de "Shabbat" dans de nombreuses langues: grec "sabbaton", italien "sabato", espagnol et portugais "sábado", russe "subbota", polonais, tchèque, slovaque et slovène "sobota", croate "subota", bulgare "søbota", hongrois "szombat", roumain "sîmbǎtǎ". Même l'expression arabe pour "samedi" "yaum assabt" signifie littéralement "jour du Shabbat".
Si le Shabbat a fasciné à ce point autant de peuples historiques au point qu'ils aient désigné eux aussi leur septième jour à l'aide de ce mot, il est plausible qu'il en ait été déjà ainsi des peuples préhistoriques.
Mais, vu l'ancienneté des langues originelles, cela implique que le repos du septième jour, le Shabbat, ait été connu plusieurs millénaires avant la naissance de Jésus.
On peut aller encore plus loin. Le "-T" de "septem" rappelle une terminaison avec laquelle on obtient des formes verbales à sens passif dans un grand nombre de langues indo-européennes. A supposer que la racine "SP" ait elle-même eu une signification en rapport avec le repos, l'ancêtre indo-européen de "septem" pourrait avoir été une sorte de participe passé d'un sens tel que "reposé", comme on dit aujourd'hui en français de certains jours qu'ils sont "chômés".
Or, il y avait en indo-européen une racine "SWP" qui a donné quantité de mots relatifs au sommeil et à l'action de dormir comme le latin "SOPor", le grec "hypnos" (évolution de SYPnos*), le sanscrit "SVAPiti", le russe "SPat'" et tous les verbes parents signifiant "dormir" dans les autres langues slaves, le nordique "sova/sove" ou encore le lituanien "SAPnas".
Il est tentant de voir un lien entre ces différentes racines et de supposer que tous les peuples du nord-ouest du continent eurasiatique ont, dans les temps préhistoriques, vécu selon des rythmes hebdomadaires qui se terminaient par un jour de repos.
En conclusion ...
Si l'on franchit la frontière entre la linguistique et la bibliologie, on entrevoit que le Dieu de la Bible aura rendu à Moïse et à Israël quelque chose qui leur avait été retiré en Egypte, le repos du Shabbat, mais qui avait sans doute déjà existé, sous une autre forme, dans les millénaires précédents et que nombre de peuples préhistoriques avaient vécu.
Peut-on alors, sur le terrain biblique, aller jusqu'à supposer que le repos du septième jour avait déjà été donné à Noé et faisait partie de l'alliance symbolisée par l'arc en ciel ? S'il en avait été ainsi, combien cette alliance préfigurait déjà à celle, plus étendue, conclue ensuite avec Israël !
L'armature consonantique de ce mot peut être notée KT.
Octo est devenu en italien et en sarde "otto", "oito" en portugais", "ocho" en espagnol et "opt" en roumain. La distance s'est creusée avec le français "huit" (où le "h" n'est pas étymologique), le catalan "vuit" et plus encore avec le provençal "vuech".
Le mot grec est OKTo.
Le sanscrit AŞŢau s'explique par le vocalisme propre à cette langue où le "O" bref indo-européen est régulièrement remplacé par un "A". De même les occlusives vélaires indo-européennes sont souvent devenues des affriquées ou des spirantes, ce qui explique le "Ş" à la place du "K".
Le persan avestique, très proche, était "asta", devenu "hašt" en farsi.
L'occlusive vélaire est devenue une fricative en celtique goïdélique, d'où l'irlandais "ocht". Elle a, en revanche, disparu en brittonique: gallois "wyth", cornique "eth", breton "eizh".
Le slavon OSmi s'explique, comme en indo-iranien, par la mutation du "K", la dentale ayant disparu. La terminaison en -M s'explique par l'analogie avec les autres cardinaux de valeur voisine. Les différentes langues slaves modernes sont proches: polonais "osiem", russe "vosyem'", ukrainien "visim", tchèque "osm", bulgare, slovaque et slovène "osem", serbo-croate "osam".
Les langues baltes sont plus proches encore de l'indo-iranien: lituanien "aštuoni", letton "astoni". Comme en slave, la terminaison en -N s'explique par l'analogie avec d'autres cardinaux.
L'albanais tetë paraît n'avoir conservé que la fin de la racine à laquelle l'analogie a ajouté la terminaison -të figurant uniformément après tous les cardinaux à partir de 6. A nouveau, on relèvera un troublant air de famille avec le lycien "aitata".
Le germanique reste encore assez proche du mot originel. Dans les langues nordiques, le "K" s'est assimilé à la dentale qui le suit: suédois "åtta", norvégien "åtte", danois "otte", islandais "átta".
Ailleurs, l'occlusive vélaire est devenue fricative: gothique "ahtau", frison, allemand et néerlandais "acht". La voyelle s'allonge en francique luxembourgeois "aacht". Elle n'est plus prononcée dans l'anglais "eight".
B) Le mot hongrois "nyolc" n'a pas non plus été emprunté à des langues indo-européennes. Il semble être ougrien si on le rapproche du vogoul "nyololov".
En revanche, comme dans le cas de 9, les langues fenniques utilisent un mot qui a dû signifier "deux de moins" que 10: finnois "kahdeksan", ingrien "kaheksan", vepse "kahesa", estonien "kaheksa". Les ancêtres de ces peuples ont probablement dû compter, à l'origine, selon une base 7.
Le mot turc "sekiz" est tout à fait étranger à ses équivalents finno-ougriens.
C) En akkadien, le mot 8 se disait SAMANE. La parenté avec l'arabe "θamaniyah", le maltais "tmienja", l'hébreu "šmone", l'araméen "tmonya" et le syriaque "tmania" ne se dément pas.
Le kabyle a emprunté à l'arabe: "tmanya" mais les cardinaux d'autres langues berbères dérivent de la même racine: tamazeq "taman", guanche "tamatti". Même le copte "šmoun" pourrait y être apparenté.
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A) S'agissant du premier cardinal, la situation est hétérogène parmi les langues indo-européennes. C'est sans doute que, à l'origine, on ne ressentait la nécessité de compter qu'en présence de plusieurs animaux ou objets. De ce fait, l'introduction de 1 dans la numération a dû être tardive, ce qui explique qu'elle a fait appel à des mots différents d'une branche de langues à l'autre.
Le latin UNus vient d'un adjectif qui signifiait "unique, seul". Son proche parent osque UINus permet de supposer une armature consonantique WN.
Le grec moderne ENas est dérivé du cardinal 11. En grec ancien, on recourait au mot "heis" dont le féminin "mia" trahit qu'il s'agissait de la survivance d'un terme que l'évolution phonétique du grec avait rendu méconnaissable. Le grec mycénien "eme" (en fait sans doute "heme"), fait supposer un ancien adjectif "sems", de féminin "smia", dont la racine pourrait se retrouver dans la première syllabe de mots latins tels que "simplex" ou "singulus" ou encore dans l'anglais "some" ou le nordique "som". Mais la face d'un dé représentant le nombre 1 s'appelait "OINE" dans la Grèce antique, ce qui est remarquablement proche du cardinal osque.
Le sanscrit EKa rappelle l'anglais "each", chaque. L'avestique utilisait le mot très différent "aevas" qui pourrait être apparenté à l'adjectif grec "oios" lequel signifiait "unique". En farsi, 1 se dit "yak", mot manifestement apparenté au cardinal correspondant du sanscrit.
En revanche, le celtique était proche du latin comme le montrent l'irlandais "aon", le breton "unan", le cornique "onan" et le gallois "un".
Le slavon "jedinu" dérive d'une racine contenue dans des mots signifiant "chaque" dans les langues germaniques continentales, par exemple l'allemand "jeder". Mais c'est dans le mot qui signifie "il/elle" dans presque toutes les langues slaves sauf le bulgare que l'on retrouve la racine employée en latin: ON. On relèvera aussi que le slovène, souvent archaïsant, a pour premier cardinal ENa.
A la différence des langues slaves, les langues baltes utilisent clairement l'armature consonantique WN apparente en osque: lituanien "vienas" et letton "viens".
L'albanais "një" dérive sans doute du même mot que celui qui est devenu "mia" en grec.
Enfin, le germanique est proche de l'italique et du celtique mais il a dû perdre de bonne heure le "W" initial: allemand "eins", luxembourgeois "eent", néerlandais "een", langues nordiques "en" et "einn" islandais, frison "ien". Curieusement, l'anglais "one" a fini par rétablir la sonante initiale disparue.
B) Le mot hongrois "egy" comporte une dentale mouillée que l'orthographe traditionnelle occulte. En apparence, le cardinal des langues fenniques est différent: finnois "yksi", ingrien et estonien "üks", vepse "üs'". Toutefois, les formes fléchies font réapparaître un "D", comme le génitif finnois "yhden". Il est donc possible que le cardinal repose sur une même lointaine racine commune en hongrois et dans les langues fenniques.
En revanche, le mot turc "bir" ne leur est manifestement pas apparenté.
C) L'akkadien IŠTENE n'utilise pas la même racine que les langues sémitiques plus récentes. L'arabe "waħid" et le maltais "wieħed" présentent une sonante initiale disparue de l'hébreu "aħat", de l'araméen "aħad" et du syriaque "ħa".
Le kabyle "yiwen" dérive d'une racine différente commune avec le tamazeq "iyen" mais distincte du guanche "nait". Sauf à se rattacher à la syllabe initiale de l'arabe, le copte "wa" représente sans doute encore une autre racine.
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A) La situation est beaucoup plus homogène avec le second cardinal. Il est en latin DUo dont l'armature consonantique est DW. Le cardinal est attesté dans d'autres langues italiques antiques: osque "dus" et ombrien "tuf". Dans les langues romanes, le sarde est proche de l'original dont il garde intacte la forme à l'accusatif masculin "duos". L'espagnol, le catalan et le provençal en sont encore assez proches: "dos", tandis que l'italien dérive plutôt du nominatif: "due". Le portugais "dois" et le roumain "doi" se sont davantage éloignés et plus encore le français "deux".
Le grec DYo est très proche du cardinal latin.
Le sanscrit DVa montre bien l'armature consonantique "DW". La consonne initiale de l'avestique "bae" s'explique par la fusion de l'occlusive dentale "d" et de la sonante labiale "v" en une occlusive labiale. Le mot farsi "do" découle d'un dialecte persan qui était resté plus proche du sanscrit que l'avestique.
Le slave est très proche du sanscrit: polonais "dwa", autres langues "dva".
Les langues baltes divergent quelque peu entre elles: lituanien "du", letton "divi". L'albanais "dy" est assez similaire au lituanien tout en rappelant le vocalisme du grec ancien. Le cardinal lycien paraît avoir été "tuwa".
Le celtique est resté proche du mot indo-européen originel: breton "daou", cornique "dew", gallois "dau", irlandais "dó".
Une fois de plus, la parenté du germanique est obscurcie par la première mutation consonantique qui a transformé le "D" initial en "T". Ceci pris en compte, les cardinaux germaniques restent proches de leurs cousins indo-européens: anglais "two", néerlandais "twee", frison "twa", suédois "två", islandais "tveir", danois et norvégien "to". La seconde mutation consonantique a éloigné un peu plus l'allemand: "zwei" (et "zwo") et le francique luxembourgeois "zwéi/zwou".
B) Le hongrois "kettö" présente un suffixe "-tö" de même que les langues fenniques (finnois "kaksi", ingrien et estonien "kaks", vepse "kaks'") un suffixe "-ksi". Une fois ces suffixes ôtés, les racines ougriennes et fenniques paraissent d'autant plus proches que, à des formes fléchies, une dentale réapparaît en fennique (par exemple, génitif finnois "kahden").
Une parenté avec le turc "iki" paraît peu vraisemblable.
C) La racine du terme akkadien ŠENA transparaît encore quelque peu dans l'arabe "iθnan" et dans le maltais "tnejn". En revanche, ce n'est pas le cas de l'hébreu "štayi" (mais bien de son féminin), ni de l'araméen "itr" et du syriaque "trae".
Le kabyle "sin" est visiblement parent du tamazeq "senat". Le guanche "smetti" leur est vraisemblablement apparenté, ce qui devient assez convainquant quand on retire le suffixe "-tti" qui est apposé à tous ses numéraux. Le copte "šešnawna" semble très différent mais il proviendrait de l'évolution d'un mot égyptien antique commençant par "sin-", ce qui rend la parenté avec le berbère plausible.
3
A) Le troisième cardinal est également un mot dont l'origine commune en indo-européen ne fait pas difficulté. Le latin TRes repose sur une armature consonantique TR héritée de la langue mère. L'osque "tris" était très voisin du latin. "Tres" s'est conservé en portugais, en espagnol, en catalan et en provençal. L'italien l'a simplifié en "tre". Le roumain "trei" et surtout le français "trois" s'en sont davantage éloignés.
Le grec TRies, le sanscrit TRayas et l'avestique THRaya sont d'évidents parents du cardinal latin. En revanche, le "se" du farsi et du tadjik ne paraît pas d'origine indo-européenne.
Le slavon TRije est, quant à lui, bien de la famille. 3 se dit "tri" dans toutes les langues slaves, le polonais "trzy" et le tchèque "tři" n'en étant que des variantes caractérisées par la forte mouillure du "R".
Toujours plus conservatrices, les langues baltes conservent la désinence originelle: lituanien "trys" et letton "tris".
L'albanais "tre" n'appelle pas de commentaire. Le cardinal lycien paraît avoir été "tri", de même que la racine hittite correspondante (les tablettes cunéiformes hittites ne notaient pas les désinences).
Le cardinal gaulois TReis nous est connu. 3 se dit "tri" dans toutes les langues celtes contemporaines.
La parenté des langues nordiques est évidente: "tre" auquel on ajoutera le frison "trije". Toutefois, la première mutation consonantique a affecté l'islandais "þrír" ainsi que l'anglais "three". Dans le germanique continental, la dentale initiale est devenue sonore: néerlandais "drie", allemand "drei", francique luxembourgeois "dräi".
B) Le hongrois "három" gagne à être rapproché du vogoul "xurum" (le "x" notant la fricative vélaire sourde de l'espagnol "Juan"). On voit ainsi l'évidente parenté avec le finnois et l'ingrien "kolme", le vepse "koume" et l'estonien "kolm". Le mot originel avait probablement l'armature consonantique KLM gardée par les langues fenniques.
En revanche, on ne voit guère de similitude avec le turc "üç".
C) Le mot akkadien ŠALAŠ est remarquablement similaire à l'hébreu "šaloš". On perçoit cependant la même racine dans l'arabe "θalaθah", le maltais "tlieta", l'araméen "tlota" et le syriaque "tlaθa".
Le kabyle "tlata" est un évident emprunt au sémitique. Les autres langues chamitiques ne paraissent rien avoir en commun: tamazeq "karadh", guanche "amelotti", copte: "šomenti".
4
A) 4 se disait en latin QUATTUOR. L'armature consonantique était KwTWR. En osque, la labio-vélaire initiale s'est simplifiée en une occlusive labiale: "petora". Cela s'est produit dans un très grand nombre de langues, comme on le verra, notamment en roumain "patru" et en sarde "battor". Quattuor se retrouve à peu de choses près dans l'italien "quattro", l'espagnol "cuatro" et le portugais "quatro". Le cardinal a été simplifié davantage en catalan, en provençal et en français: "quatre".
Des inscriptions mycéniennes permettent de supposer que 4 se disait probablement "qwetor" ou "qwetro" dans la Crête archaïque. Par la suite, le grec a éliminé la labio-vélaire à laquelle il a substitué non pas une occlusive labiale mais une occlusive dentale, ce qui est étonnant: "tettares". En démotique, ce mot est devenu "tessera".
Le lycien paraît avoir emprunté au grec: "teteri". La racine hittite, énigmatiquement, paraît avoir été très différente: "meyu-". D'où pouvait provenir ce mot et pourquoi le hittite n'avait pas le même terme que les autres langues indo-européennes ? "KwTWR" est-il un cardinal récent, postérieur à la séparation entre le hittite et l'indo-européen commun ?
L'indo-iranien a éliminé précocement la labiale, ne gardant qu'une occlusive vélaire qui, par la suite est devenu une affriquée. C'est ainsi que s'expliquent le sanscrit "CATVARas" et l'avestique"ČATHWARo". Le farsi "čahar" et le tadjik "čor" en découlent.
Les langues baltes ont suivi une évolution comparable: au archaïsant lituanien "KETURi" correspond le letton "ČETRi".
Le slave est très proche. A partir du slavon "ČETYRe", on retrouve presque à l'identique le russe "četyre", l'ukrainien "čotyry", le bulgare et le serbo-croate "četiri". Sous l'effet de l'accentuation sur la voyelle pénultième, le polonais "cztery" et le tchèque "čtiři" sont devenus des dissyllabes tandis que l'affriquée s'est amuïe en simple chuintante en slovaque: "štyri" et en slovène "štiri".
L'albanais a subi une évolution comparable au lituanien: "KATËR".
La situation en celtique est plus compliquée. Comme le lituanien, le gaélique a éliminé l'élément labial et gardé l'élément occlusif vélaire: irlandais "ceathair". Par contre, le groupe brittonique a fusionné la labio-vélaire en une occlusive labiale: gallois "pedwar", cornique "peswar", breton "pevar".
La situation du germanique doit s'expliquer à partir du celtique brittonique. En effet, la première mutation consonantique a transformé les "P" en "F" comme le montre le rapprochement entre le mot latin "pater" et le mot anglais "father". C'est ainsi que, à partir du gothique "FIDWOR" (comparer avec le gallois "pedwar"), on comprend que les autres langues germaniques ont perdu la dentale médiane: suédois "fyra", danois et norvégien "fire", anglais "four", allemand et néerlandais "vier", francique luxembourgeois "véier". Le frison est un peu plus archaïque "fjouwer". On notera aussi l'islandais "fjórir" qui en est proche.
Le linguiste J.S. SHELDON avance que le mot signifiant 4 en indo-européen pourrait commencer par la particule copulative ("-que" en latin comme dans "patres filiosque", les pères et les fils). Il suppose que, à l'origine, on avait peut-être eu l'habitude de compter par paires: deux et trois, quatre et cinq (duwo treyesqwe, twores penqwe ...). Mais, au fil du temps, cette habitude initiale ne s'est plus maintenue et la particule n'a plus été comprise comme un élément copulatif. Elle a été détachée à tort du mot trois et raccordée au mot quatre qui suivait. Cette hypothèse est argumentée par le fait que l'ordinal "quatrième" connaît une forme "turiya" en sanscrit à côté de "caturtha" et que turiya est le seul ordinal connu en avestique. Or, "-ca" est la particule copulative en sanscrit qui résulte de l'évolution dans cette langue du "qwe" indo-européen. Il cite aussi des mots grecs qui comportent le cardinal 4 préfixé mais sans la syllabe initiale. Le mot "trapeza", "table", étaie la conviction car il s'agit visiblement d'un mot qui signifie "quatre pieds".
B) Le hongrois "négy" se termine par une dentale mouillée. Le vogoul "nila" et le mordve "nile" se terminent par une liquide. Mais le komi a une liquide mouillée "nyol'". Il est donc possible que le hongrois vienne de "nél'"*. En ce cas, la parenté avec les langues fenniques devient manifeste: finnois et ingrien "neljä, vepse "nel'", estonien "neli".
En revanche, aucune sorte d'analogie avec le turc "dört".
C) Le cardinal akkadien ERBE est évidemment apparenté à l'hébreu "εarba", au maltais "erbgħa", à l'arabe "εarba'ah", à l'araméen "arpa" et au syriaque "arb'a".
Le kabyle est emprunté au sémitique "rebεa". La parenté des termes des autres langues chamitiques n'est pas évidente: tamazeq "kuz", guanche "acodatti". Si l'on retire le suffixe-tti, il reste une racine "acoda" qui pourrait dériver d'un "akuda"* hypothétique auquel on pourrait alors rattacher aussi "kuz". Le copte "ftow" relève en tout cas manifestement d'une terminologie numérale distincte.
5
A) Le cardinal latin était QUINQUE. Plus encore que dans le cas de la première syllabe de "quattuor", on est frappé par l'analogie de la deuxième syllabe avec la particule copulative. L'armature consonantique était KwNKw.
L'osque paraît avoir été "pompe" et l'ombrien "pumpe". Il est manifeste que la labiovélaire du latin a été fusionnée en une simple labiale sourde aux deux syllabes.
En règle générale, les langues romanes ne présentent aucune trace de l'élément labial à l'initiale, ce qui permet de supposer que le cardinal s'est précocement prononcé "kinqwe" dans la Rome antique. C'est ainsi que le sarde "chimbe" n'a fusionné la labio-vélaire qu'en finale. Si elle avait subsisté à l'initiale, on se serait attendu plutôt à "bimbe". A cet égard, c'est l'italien "cinque" qui reste le plus proche du latin. Les autres langues romanes ont perdu également la labio-vélaire finale: portugais et espagnol "cinco", catalan et provençal "cinc" (et français écrit "cinq"), roumain "cinci".
Le celtique, à nouveau, se présente de façon hétérogène. La branche goidélique se montre sous un jour analogue au latin. En effet, le vieil irlandais "cóic" devenu aujourd'hui "cúig" se caractérise par un élément occlusif vélaire dans chaque syllabe. Par contre, le brittonique n'a que des occlusives labiales, comme l'osque et l'ombrien: breton "pemp", cornique "pymp", gallois "pump". Comme la particule copulative est attestée sous la forme "-pe" en gaulois, on peut supposer que la forme brittonique du cardinal résulte de la mutation uniforme des labiovélaires "Kw" en "P". Mais certains linguistes prétendent que la première syllabe comportait une labiale en indo-européen et que la labiovélaire initiale du latin (et du goïdélique) serait une innovation due à l'analogie avec la syllabe finale.
Dans un cas comme dans l'autre, le cardinal germanique se comprend mieux à partir du celtique brittonique. Si l'on part du cornique "pymp" et que l'on se souvient que la première mutation consonantique germanique substitue le plus souvent "F" à "P", on ne s'étonne pas du gothique "fimf", de l'allemand "fünf" et du francique luxembourgeois "fënnef". Les langues nordiques ont perdu la labiale finale: danois, norvégien, suédois "fem", islandais "fimm". Les langues westiques autres que l'allemand ont perdu la nasale: néerlandais "vijf", frison "fiif", anglais "five".
En grec, la particule copulative était devenue "-TE". Le fait que le cardinal 5 se disait "pente" tend à accréditer le fait que la seconde syllabe est bien ladite particule. Le fait se vérifie également en sanscrit où la particule était "-CA". Or le cardinal 5 se disait "pañca", tant en sanscrit qu'en avestique. Le mot farsi actuel "panj" en reste proche.
Le slave dériverait plutôt du grec. Le slavon "PĘTI", avec sa voyelle nasale, démontre que le polonais "pięć" est très conservateur. Toutes les langues yougoslaves et le tchèque ont simplifié le cardinal en "pet" (avec voyelle plus ouverte dans le slovaque "pät". Les langues slaves orientales se caractérisent par la mouillure des consonnes: russe et ukrainien "pyat").
Le balte rappelle davantage le sanscrit en ce que l'élément labial de la consonne de la deuxième syllabe a disparu, ne laissant subsister qu'une vélaire: lituanien "penki" (amuï en "pieci" en letton).
Il est plus difficile d'entrevoir comment l'albanais a abouti à "pesë", forme très érodée du cardinal indo-européen original.
Si la deuxième syllabe du cardinal indo-européen est bien la particule copulative, que voulait dire la première syllabe ? Eh bien, il me semble défendable de supposer que nous sommes en présence d'un mot qui, à l'origine, voulait dire "main". Il est très vraisemblable que, comme les enfants, les anciens locuteurs de l'indo-européen originel se soient aidés de leurs doigts pour compter. Lorsqu'ils arrivaient à cinq, ils avaient utilisé tous les doigts d'une main, de sorte que "penkwe" pourrait avoir signifié "et la main". En ce cas, la syllabe "pen" initiale pourrait être rapprochée de la racine de termes signifiant "saisir", "attraper", "fixer", "mettre" tels que le latin "pangere" et l'allemand "fangen" (cf. aussi "finger", le doigt, c'est à dire "ce qui saisit"). Par la suite, le mot aurait été tellement associé au chiffre 5, que les différentes branches issues de l'indo-européen ont utilisé des racines différentes pour désigner la main, ce qui expliquerait la surprenante hétérogénéité de ce mot entre les différentes branches de langues indo-européennes.
B) Le cardinal hongrois "öt" est proche de son équivalent vogoul "at". Toutefois, plusieurs langues apparentées, tout en présentant une finale en dentale, commencent par un "v-" qui a pu disparaître en hongrois: komi "vit", votyak "vit'". On voit alors nettement l'identité avec les langues fenniques: finnois "viisi", ingrien "viz", estonien 'viis" où une dentale réapparaît dans certaines formes fléchies (finnois "viiden).
Par exception, le turc "bes" est peut-être apparenté au mot finno-ougrien. Il faudrait supposer un lien entre la fricative labiale fennique et l'occlusive labiale turque ainsi qu'un amuïssement de l'occlusive dentale finale conservée en ougrien. C'est possible mais pas nécessairement probable.
C) Le cardinal akkadien "ĦAMIŠ" est proche cousin du cardinal 5 dans les principales langues sémitiques. hébreu "ħameš", araméen et syriaque "ħamša", arabe "ħamsah", maltais "ħamsah". Le kabyle "xemsa" est emprunté au sémitique. Toutefois, le tamazeq "sammus" et le guanche "SIMUSetti" permettent de penser que le cardinal berbère a une origine commune avec le cardinal sémitique, la gutturale de ce dernier ayant été remplacée par une dentale spirante. En revanche, le copte "tiw" relève manifestement d'une terminologie distincte.
6
A) Le cardinal est en latin "SEX". Le sarde "ses" garde la voyelle originelle, laquelle s'est fermée en catalan "sis" et en français "six". D'autres langues romanes ont développé une diphtongue: provençal "sieis", espagnol et portugais "seis". En roumain, l'initiale est devenue chuintante: "șase" tandis que l'italien a perdu la consonne finale "sei".
Le germanique est proche de l'italique. Les langues scandinaves ont le même mot que le latin écrit "sex" en suédois et en islandais, "seks" en danois et en norvégien. La voyelle s'est fermée en anglais "six" tandis que la sifflante initiale est voisée en allemand et en francique "sechs". L'élément occlusif vélaire a disparu du néerlandais "zes" et du frison "seis". Le gothique en avait fait une fricative: "saihs".
Le baltique semble avoir seulement simplifié la finale: lituanien "šeši" et letton "seši".
Le slave paraît avoir ajouté un suffixe "-TI" par analogie avec le cardinal 5 dans cette branche de langues: slavon "ŠESti", russe et slovaque "šest'" tandis que le tchèque et les langues yougoslaves ont "šest" sans mouillure en finale. Le polonais l'a, au contraire, accentuée "sześć".
L'albanais "gjashtë" comporte le même suffixe. La consonne initiale est sans doute un renforcement d'une chuintante originelle.
Le grec ancien "HEX" semble, de prime abord, avoir remplacé la sifflante intiale par une aspiration. Cependant, comme on trouve "WE-" sur des tablettes mycéniennes, il est possible que le mot grec initial ait été "wex*", version simplifiée d'une forme originelle"swex*".
En gaulois, le cardinal paraît avoir été "suex". L'irlandais l'a réduit en "sé". Par contre, les langues brittoniques pourraient conserver la trace d'une forme plus archaïque que dans la plupart des autres branches: le gallois "chwech", le breton "c'hwec'h" et le cornique "hwegh" renvoient à un ancêtre commun qui commençait par une occlusive vélaire. La trame consonantique paraît avoir été KWK, ce qui surprend.
Or, la présence de l'occlusive vélaire paraît confirmée par l'avestique "xšvaš", tandis que le sanscrit présente une forme déjà aussi simplifiée que le lituanien "șaș". C'est très étrange. Cette occlusive vélaire qui n'apparaît qu'en brittonique et en avestique serait-elle une trace d'un proclitique accolé ? J.S. SHELDON croit y voir à nouveau un reste de la particule copulative.
L'armature consonantique indo-européenne aurait donc été "SWK" ou "KSWK", le "s" final étant probablement une marque de pluriel.
B) Au hongrois "hat" correspond le vogoul "xot". On peut donc supposer que le cardinal finno-ougrien ancestral commençait par une occlusive vélaire qui s'est amuïe en ougrien. En effet, le mordve à "koto" et le votyak "kuat'". Ces langues permettent donc de faire le pont avec le finnois "kuusi", l'ingrien "kuz", le vepse "kuz'" et l'estonien "kuus". La dentale réapparaît dans des formes fléchies (finnois kuuden). Si l'indo-européen avait une occlusive vélaire à l'initiale, alors on pourrait entrevoir une brumeuse parenté avec le cardinal finno-ougrien.
En revanche, le turc "alti" n'y est pas du tout apparenté.
C) L'akkadien "ŠIŠu" est remarquablement proche de l'hébreu "šeš". En revanche, les autres langues sémitiques ont en deuxième syllabe une occlusive dentale: arabe "sittah", maltais "sitta", araméen "šetta", syriaque "išta". Le kabyle y est emprunté: "setta". Toutefois, le tamazeq "sadis" et le guanche "SESetti" en sont aussi proches. Il est possible qu'un cardinal afro-asiatique originel ait eu l'armature consonantique STS. Il est par contre peu vraisemblable que le copte "sow" en dérive.
7
A) Le cardinal est en latin "SEPTem". L'armature consonantique est SPT.
C'est en roumain qu'il s'est le mieux conservé "șapte". L'italien et le sarde ont "sette", le portugais "sete". La voyelle tonique est diphtonguée en espagnol "siete" tandis que la voyelle finale tombe en catalan et en provençal "set" ainsi qu'en français "sept".
Les langues baltiques ont bien conservé la racine originelle: lituanien "septynì", letton "septini". Elles y ont ajouté un même suffixe que comportent aussi les cardinaux suivants.
La voyelle finale du sanscrit "SAPTa" représente la vocalisation du "M" de la terminaison. En avestique, la sifflante initiale a été remplacée par une aspiration: "hapta". De là dérive le farsi actuel "haft".
Le grec antique "HEPTa" était très proche de l'avestique avec lequel il partageait la disparition du "S" initial.
Le germanique a perdu la dentale "T" qui était peut-être à l'origine un suffixe. Le gothique "sibun" et l'allemand "sieben" présentent une sonorisation de l'occlusive labiale, attendue conformément à la mutation consonantique germanique, tandis que la nasale finale s'est amuïe en "N". La labiale est devenue spirante en néerlandais "zeven", en francique "siewen", en anglais "seven" et en danois "syv", tandis qu'elle a disparu dans les autres langues: norvégien et suédois "sju", islandais "sjö", frison "sân".
En slave, c'est au contraire la labiale qui a disparu tandis que la dentale s'est le plus souvent maintenue mais voisée: slavon "SEDMi", slovaque, bugare et slovène "sedem", tchèque "sedm", polonais "siedem", croate "sedam". Le russe "sem'" et l'ukrainien "sim" n'ont gardé que la nasale finale.
Le celtique a suivi une évolution comparable. La labiale est devenue une spirante vélaire en gaulois "sextan". On la trouve encore en irlandais "seacht". Par contre, elle s'est amuïe dans les langues brittoniques où elle a entraîné la diphtongaison de la voyelle tonique: gallois "saith", cornique "seyth", breton "seizh".
L'albanais n'en conserve qu'une forme très corrompue "shtatë" à laquelle l'analogie a ajouté le suffixe "-të" commun à tous les cardinaux à partir de 6.
On notera aussi le mot hittite "ŠIPTa-" dont la terminaison exacte n'est pas connue.
B) Le hongrois "hét" est à rapprocher du vogoul "sat" qui permet de supposer que, comme dans le cas du grec et de l'avestique, l'aspiration représente l'amuïssement d'une ancienne sifflante. On remarquera que le cardinal ougrien a un air de famille avec l'indo-européen. Cette impression est renforcée par le mordve "sisem" et le votyak "siz'im" où la sifflante médiane pourrait résulter de l'évolution d'une occlusive dentale. Rapproché de ces langues, le finnois "seitsemän", que les langues soeurs ont simplifié en "seitsen" (ingrien) ou "seitse" (estonien), paraît très conservateur et permet d'entrevoir un cardinal finno-ougrien originel dont l'armature consonantique aurait pu être "ST(s)M". Dès lors, on ne peut être que frappé par l'analogie avec l'indo-européen.
Le turc "yedi" nous réserve une surprise car, à la lumière de ses langues soeurs l'ouzbek "yetti", le kazakh "žetti" et surtout le yakoute "sette", analogue à l'italien (!), il paraît pouvoir être relié, pour la première fois, tant au finno-ougrien qu'à l'indo-européen.
C) Le cardinal akkadien était "SEBe". La parenté de l'hébreu "šebaε", de l'araméen "šubεa", du syriaque "šawεa", de l'arabe "sabεah" et du maltais "sebgħa" est évidente. L'armature consonantique comporte une sifflante, une occlusive labiale et une laryngale qui, mise à part cette dernière, présente aussi une concordance forte avec l'indo-européen, d'où les laryngales ont été éliminées précocement, et avec l'ouralo-altaïque.
Si le kabyle emprunte "sebεa" à l'arabe, le tamazeq "sah" et le guanche "SAtti" désignent le cardinal 7 par des mots proches de ceux que l'on rencontre dans des langues indo-européennes et ouralo-altaïques. On notera que le copte "sašef" commence par la même syllabe et que l'armature consonantique du cardinal en égyptien pharaonique était SFĦW. La concordance avec le sémitique est frappante.
A ce point du développement, on risquera la conclusion suivante: Tandis que la terminologie numérative des langues indo-européennes, finno-ougriennes, turques, sémitiques et, dans une moindre mesure, chamitiques remonte à un système originel commun à l'intérieur de chaque famille, ces systèmes sont le plus souvent très différents d'une famille à l'autre sauf dans le cas du cardinal 7 où la convergence n'en est que plus remarquable.
Que peut-on dire à cet égard ?
Tout d'abord, pour qu'il y ait eu une convergence, il faut que les peuples qui avaient parlé les différentes langues originelles dont sont issues les familles de langues passées en revue aient considéré qu'il y avait quelque chose de spécial avec le chiffre 7.
A partir de cette prémisse, on peut avancer deux hypothèses. La première est celle de l'emprunt. L'un des peuples originels avait accordé une place si particulière au nombre 7 dans sa culture ou son organisation sociale que les autres, par attrait ou par quelque autre forme de fascination, en avaient repris des éléments et le terme qui le désignait.
La seconde est que la position spéciale du chiffre 7 serait un legs commun à la quasi totalité des peuples d'Europe, d'Afrique du nord et du Moyen-Orient.
De quoi pourrait-il s'agir ? Je pense au repos du septième jour de la semaine, le Shabbat honoré par Israël. Il y a d'ailleurs un précédent beaucoup plus récent dans l'histoire des langues. En effet, le mot qui désigne le "samedi" est dérivé de "Shabbat" dans de nombreuses langues: grec "sabbaton", italien "sabato", espagnol et portugais "sábado", russe "subbota", polonais, tchèque, slovaque et slovène "sobota", croate "subota", bulgare "søbota", hongrois "szombat", roumain "sîmbǎtǎ". Même l'expression arabe pour "samedi" "yaum assabt" signifie littéralement "jour du Shabbat".
Si le Shabbat a fasciné à ce point autant de peuples historiques au point qu'ils aient désigné eux aussi leur septième jour à l'aide de ce mot, il est plausible qu'il en ait été déjà ainsi des peuples préhistoriques.
Mais, vu l'ancienneté des langues originelles, cela implique que le repos du septième jour, le Shabbat, ait été connu plusieurs millénaires avant la naissance de Jésus.
On peut aller encore plus loin. Le "-T" de "septem" rappelle une terminaison avec laquelle on obtient des formes verbales à sens passif dans un grand nombre de langues indo-européennes. A supposer que la racine "SP" ait elle-même eu une signification en rapport avec le repos, l'ancêtre indo-européen de "septem" pourrait avoir été une sorte de participe passé d'un sens tel que "reposé", comme on dit aujourd'hui en français de certains jours qu'ils sont "chômés".
Or, il y avait en indo-européen une racine "SWP" qui a donné quantité de mots relatifs au sommeil et à l'action de dormir comme le latin "SOPor", le grec "hypnos" (évolution de SYPnos*), le sanscrit "SVAPiti", le russe "SPat'" et tous les verbes parents signifiant "dormir" dans les autres langues slaves, le nordique "sova/sove" ou encore le lituanien "SAPnas".
Il est tentant de voir un lien entre ces différentes racines et de supposer que tous les peuples du nord-ouest du continent eurasiatique ont, dans les temps préhistoriques, vécu selon des rythmes hebdomadaires qui se terminaient par un jour de repos.
En conclusion ...
Si l'on franchit la frontière entre la linguistique et la bibliologie, on entrevoit que le Dieu de la Bible aura rendu à Moïse et à Israël quelque chose qui leur avait été retiré en Egypte, le repos du Shabbat, mais qui avait sans doute déjà existé, sous une autre forme, dans les millénaires précédents et que nombre de peuples préhistoriques avaient vécu.
Peut-on alors, sur le terrain biblique, aller jusqu'à supposer que le repos du septième jour avait déjà été donné à Noé et faisait partie de l'alliance symbolisée par l'arc en ciel ? S'il en avait été ainsi, combien cette alliance préfigurait déjà à celle, plus étendue, conclue ensuite avec Israël !
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